C’est en visitant le Cellier Belle Époque de la maison Perriet-Jouët que nous avons eu la chance d’échanger avec Tord Boontje…
Après avoir été diplomé de la Design Academy d’Eindhoven , vous êtes allé au Royal College of Art de Londres, pourquoi ? Voyez-vous une différence entre l’approche hollandaise et anglaise du design?
Je suis allé au Royal College of Art parce que je voulais passer mon master et à ce moment il n’y avait pas de master de design en hollande, j’avais le choix entre Milan et Londres, je voulais travailler sur l’identité et les matières et ce master londonien y correspondait. Je savais que je voulais être plus un designer industriel, designer des meubles. Maintenant, les approches sont très distinctes, je pense que le design hollandais est plus basé sur la réflexion, comment nous améliorons le monde en tant que designer, nous sommes plus sur les concepts, la philosophie de « qu’est-ce que ça signifie être un designer aujourd’hui », et moins sur la praticabilité à fabriquer et à vendre des produits.
Qu’aimez-vous dans le design et que souhaitez-vous transmettre?
Je vois le design comme un moyen de créer de l’art, certaines personnes font des livres, d’autres font des films, je fais des objets, je pense qu’un bon film apporte beaucoup de sens et d’excitation, de la joie et du plaisir, c’est aussi quelque chose que j’essaie d’apporter au travers de mon travail.
Qu’est ce qui vous inspire le plus?
Énormément de choses différentes, j’observe le monde dans lequel je vis, je vais à beaucoup d’expositions d’art, il y a aussi les designers du passé. En ce moment, j’aime travailler sur la lumière, les éclairages et les chaises ont toujours fait partie des choses sur lesquelles j’aime travailler, ce sont des objets assez complexes et challenging à travailler.
J’aimerai vous laisser réagir sur ces mots, « Flowerie », « Nature », « Shadow theatre »…
(Rire), Oui je pense qu’en ce moment ce sont des choses que l’on peut dire. Pendant pas mal de temps ce sont des choses autour desquelles j’ai beaucoup travaillé, j’ai eu pas mal de succès autour de ces thèmes et ensuite j’ai eu envie de travailler sans l’approche florale, sans référence directe à la nature, mais j’ai réalisé récemment que c’est une partie importante de ma personne et je me réengage totalement avec.
Dans votre approche, on a la nature, la légèreté avec des matières industrielles…
Ma formation est en Design industriel, j’aime aussi créer des choses qui peuvent être reproduites, faites en série, à de nombreux exemplaires, et aussi, parfois à un prix accessible, ce qui vous permet de toucher plein de gens, d’avoir une audience importante, alors je pense que la production de masse, ou en grand nombre est quelque chose en quoi je crois vraiment. Je pense souvent que si j’étais musicien, je préfèrerais sortir quelque chose sur l’internet et avoir une énorme audience dans le monde entier, plutôt que de jouer des concerts de musique de chambre devant une petite audience ou un public trop select. Je suis plus Pop Culture en fait.
Quels sont vos matériaux de prédilections ? Ceux qui vous offrent le plus de liberté ?
En ce moment je travaille beaucoup avec le métal, il offre un certain type de précision, par exemple je travaille sur une nouvelle lampe, le métal a été coupé au laser et ensuite la forme lui est donnée à la main, j’aime que le métal soit si fin, il ressemble presque à du papier mais est aussi très résistant, ça lui donne un aspect industriel et ces découpes le transportent dans quelque chose de plus doux, de quelque chose qui pourrait venir de la nature. Je travaille aussi sur une installation importante, qui mélange lumière et cuivre, le cuivre a une couleur particulière avec la lumière et fonctionne très bien avec et puis le cuivre c’est aussi la matière qui permet de transporter l’électricité, c’est une belle référence au monde électrique.
Dans votre process de création, savez-vous dès le départ où vous allez ou laissez-vous libre cours à votre imagination ?
Les deux en fait, je commence avec des formes, par exemple une forme peut aller sur un mur, sur un plafond, je commence en l’imaginant sur un mur, dans une pièce, une autre pièce et je me libère, ça doit être comme une grande aventure, je ne sais pas ce qui va de passer, c’est ce qui est excitant.
A quel moment arrêtez-vous le dessin et commencez-vous à travailler dans l’espace ?
En fait j’utilise constamment les deux, mais je fais des modèles très rapidement et même si ils sont en carton, ils me disent plus de choses que de regarder un écran d’ordinateur, mais maintenant avec les imprimantes 3D, ce sont des outils incroyables, pour moi ils fonctionnent ensemble, c’est une grande boite à outils, parce qu’en fait dans le process, on ne fait que des allers retours entre les modèles et le dessin. Quand on écrit un livre, vous ne pouvez pas vous dire, je n’écris que sur mon ordinateur, vous pouvez être un jour dans le train, écrire sur un carnet, et ensuite repartir sur votre ordinateur.
Comment s’est fait votre rencontre avec la Maison Perrier-Jouet?
Axelle de Buffévent m’a contacté à Londres, et m’a dit, « nous avons cette marque de champagne qui est très engagé dans l’art, et les développements de projets avec des artistes et lien avec la nature, qui a la plus grande collection d’art nouveau… Plus j’étudias la marque et plus la rencontre était évidente, et quand j’ai été invité à la maison Belle Epoque à Epernay, que j’ai vu les pièces de la collection, dormi dans le lit désigné par Émile Gallé, j’étais totalement convaincu que l’idée était excellente.
Vous travailliez déjà sur la nature avant de rencontrer Perriet-Jouët ?
Oui ce n’est pas quelque chose qui fonctionne en marche/arrêt, quand j’étais enfant, à l’école, quand on me demandait « que veux tu être quand tu seras grand? », je voulais être garde forestier, prendre soin de la forêt, des animaux, de la croissance des arbres, tous les jours, marcher dans la forêt, ça me semblait parfait. J’aime le camping par exemple et puis j’ai découvert l’art et le design et je les aimais encore plus, mais cet amour de la nature ne partira jamais, j’ai toujours besoin de sortir de la ville, d’aller dans un endroit « green » de marcher dans la campagne, de camper…
Petit j’ai grandi dans une petite ville, c’était très facile de prendre son vélo et d’aller dans les champs, à 20 minutes de vélo, nous avions une forêt, nous n’avions pas de voiture, nous faisions tout à vélo, même quand nous partions camper, nous attachions tout derrière les vélos.
Alors avec votre art vous apportez la forêt chez les gens, au travers de la lumière…
Oui, peut être, quand on regarde une ville et ses immeubles, beaucoup sont très masculins d’une certaine manière, et je pense que nous avons besoin aussi de cet autre côté, pour vivre une vie complète, quand vous avez une ville avec beaucoup de parcs, de vert, des arbres dans les rues ça devient beaucoup plus plaisant que juste le béton.
Vous travaillez avec les matières, la lumière, les formes que les deux créées, votre travail est plutôt monochromatique.
Oui et non, peut être actuellement, mais j’ai beaucoup travaillé avec la couleur, quand j’ai travaillé avec les textiles, c’était très coloré, peut-être un peu trop. J’ai aussi beaucoup étudié la période rococo, inspirée par la nature et les formes organiques mais aussi avec des couleurs très franches, des couleurs très vibrantes, ils testaient aussi de nouveau pigments. Je termine actuellement un livre avec Rizzolli qui sortira en septembre, et le début du livre regroupe tous les projets que j’ai fait autour de la couleur et puis les matières naturelles, le bois, le cuivre, le papier, et puis il devient très sombre, avec un grand nombre d’objets noirs, mystérieux, et puis l’univers blanc et du verre.