Architecte et artiste français aux multiples facettes, Paul Andreu, nous délivre un travail singulier et marquant.
Après avoir réalisé les Aérogares 1 et 2 de l’aéroport Charles-de-Gaulle, il s’impose très vite comme le spécialiste mondial de l’architecture aéroportuaire puis acquiert tout au long de ces années une reconnaissance internationale notamment grâce à des chefs d’œuvres architecturaux tels que le Grand Théâtre National de Chine, le Musée de la mer à Osaka ou la Grande Arche de la Défense en France.
Humaniste, homme de lettre, et digne héritier de l’architecte visionnaire et révolutionnaire français Etienne-Louis Boullée, c’est de son agence parisienne, qu’il a accepté, tout spécialement à l’occasion de ce numéro, de se prêter au jeu d’une courte interview.
Monsieur Paul Andreu, pourriez-vous nous décrire les étapes importantes qui ont marqué votre parcours ? Quelle est pour vous la réalisation la plus marquante ?
La première et la plus marquante fut pour moi la réalisation de l’Aérogare n° 1 Charles-de-Gaulle. J’avais 29 ans quand j’ai commencé à réaliser ce bâtiment qui était à la fois énorme, extrêmement ambitieux, qui coûtait cher et qui avait un tas de qualités et de caractéristiques qui en faisait un projet terrifiant pour un jeune architecte et en même temps un projet complètement excitant. J’ai formé une équipe avec laquelle nous avons essayé d’imaginer des choses et de tenir compte de tout ce qui se faisait à l’époque, ce qui a débouché sur ces espaces extraordinaires que traversent les tapis roulants. Tout cela me laisse une nostalgie ! Et puis il y a eu des projets qui se sont développés autour des aéroports, parsemés de choses intéressantes avec des intérêts très variés. A l’autre extrême, l’Opéra de Pékin est aussi une étape importante de mon travail. D’une certaine manière on y retrouve presque toutes les caractéristiques de situation, d’importance et de nouveauté du projet de l’Aérogare. En quelque sorte c’est comme un saut de l’ange.
Pourriez-vous nous dire comment naît un projet ? Est-ce que tous les projets vous intéressent ?
Aujourd’hui ce sont presque toujours des concours et peu sont des commandes directes. Le maître d’ouvrage ne veut pas se rater. Il veut savoir ce que pensent les gens et veut pouvoir faire son choix avant de retenir les candidats qui participeront au concours.Ainsi les projets les plus intéressants sont ceux dans lesquels on a affaire à quelqu’un qui sait ce qu’il veut, qui est très travailleur, qui s’est beaucoup informé et surtout qui est dans un état d’esprit d’ouverture. Le bon client est nécessaire au bon projet. Les concours sont des chances qui sont données d’imaginer des choses qu’on ne fait pas tous les jours et donc de proposer des choses originales.
Selon vous l’art est t-il une source d’inspiration ? Est-ce qu’il y a des architectes qui vous inspirent ?
Je pense qu’on a besoin de se nourrir. On se nourrit physiquement, on se nourrit intellectuellement et artistiquement. Personne ne peut être indépendant. Pour ma part, j’ai beaucoup regardé quand j’étais jeune, l’architecture de Alvar Aalto qui m’a inspiré un certain nombre de lignes courbes ou obliques, mais aussi les architectures anciennes, égyptienne ou mexicaine. Ces architectures qui ont un rapport aux matériaux très purs, avec des pensées profondes très fortes et en même temps assez simples. Mais c’est la période des architectes révolutionnaires en France qui m’a sans doute le plus inspiré. J’ai regardé sous toutes les coutures le travail d’Etienne-Louis Boullée.
Est-ce qu’il y a des architectes qui vous ont marqué ou influencé ?
Oh oui il y en a plusieurs ! Mais il y en a deux que je cite toujours. L’architecte Renzo Piano. Nous avons à peu près le même âge, et nous sommes très différents. Je ne suis pas spécialement en adoration devant lui, pourtant il m’arrive très souvent d’être admiratif devant ses réalisations. Je me dis souvent que j’aurais bien aimé faire cela !
Et comment cela se traduit-il dans vos projets ?
Je crois que l’on emprunte beaucoup aux autres. On le sait et on le fait délibérément. Pas pour des projets entiers bien sûr, mais on ne copie pas, car emprunter n’est pas copier, au contraire, emprunter c’est une manière de se parler, de se renvoyer la balle. De s’enrichir.
Comment imaginez-vous l’architecture de demain ?
Je pense que l’on peut avoir de grandes ambitions, mais il ne faut jamais oublier que l’architecture est faite pour des gens qui vont habiter des villes et des espaces, habiter des bâtiments et vivre à l’intérieur. Bien souvent on connaît leurs attentes mais on ignore les désirs collectifs. Pour cela nous allons à leur rencontre, et même si l’imagination va plus vite que la raison dans la recherche du désir des autres, il faut qu’au final nous soyons au plus près de leurs attentes et que cela ne devienne pas une sorte de prétention égotique. En fait ce qui ne me plait pas dans l’art d’aujourd’hui, c’est cette sorte de starisation et d’égotisme qui consiste à penser que « si j’arrive à vous convaincre que je suis le plus fort et bien ce que je fais n’a pas d’importance ». Et bien non ! Cela n’est pas vrai !
À l’occasion de notre dernier entretien avec l’architecte Oscar Niemeyer, celui-ci nous confiait qu’il avait toujours profité de tout le progrès technique, en étant conscient que l’architecture ne change pas la vie, mais que c’est la vie qui change l’architecture. Êtes-vous en accord avec cette idée ?
Oui ! Tout à fait. Les progrès techniques sont dans l’ère du temps et on les saisit, avec bonheur et plaisir mais on ne les sert pas. Un projet qui sert une découverte technique en général est souvent mauvais. Le béton est venu à point nommé pour donner de la liberté aux gens. Si les hommes ont inventé une autre manière de produire et de commercialiser l’acier et le verre, c’est aussi que les architectes avaient envie de formes différentes et ne voulaient pas qu’on leur impose éternellement les mêmes séries, et se plier aux carcans d’une certaine industrialisation. D’autre part, je me bats pour dire que ce n’est pas mon ordinateur et les programmes informatiques qui font mon architecture. Enlevez-moi tout cela et je ferai encore l’essentiel tout seul ! Je saisis bien sûr tous ces moyens techniques avec bonheur, puisqu’ils me permettent d’aller plus loin, plus vite, mais je ne dois rien subir de leur part !
Est-ce qu’aujourd’hui il vous arrive de prendre encore des risques sur certains projets ?
Je vais vous dire, des risques matériels aucun ! Des risques sur les personnes aucun ! Ce qui ne veut pas dire qu’on puisse toujours les éviter, mais prendre consciemment des risques dans ces domaines… jamais aucun ! Par contre, des risques intellectuels vis-à-vis de ma réputation et de mon image, oui, tout le temps. Vous voyez lors de la construction de l’Opéra de Pékin, je me disais que ce projet était exceptionnel de part l’endroit et le bâtiment, de part l’attente des gens, de part l’importance du site, et malgré tout mon savoir-faire et mon expérience j’étais constamment soumis à une espèce de bombardement intellectuel permanent de moi-même sur moi-même concernant la manière d’aborder sa réalisation. Durant tout le projet, il y avait comme un questionnement et une remise en question permanente de mes idées.
Oui, c’est un travail de créateur et vous n’êtes pas artisan de ce que vous faîtes ! Faites-vous une différence entre l’Architecte et l’Artiste ?
En général non ! Je pense que tout artiste est à la fois terriblement prétentieux et terriblement humble. Au fond sans doute que la qualité des choses qu’on fait est proportionnelle au degré d’insatisfaction qu’on a !
Finalement, l’Artiste ne se trouve jamais ! Il est toujours dans la recherche et l’expérimentation ?
En effet, c’est sans doute quelqu’un qui ne peut pas arriver à se satisfaire (sourire), ce qui n’est pas très agréable !
Vous savez, les gens pensent que je mène une vie formidable et que je prends du plaisir dans mon métier. Cela m’arrive bien sûr, mais finalement pas tellement. Il m’arrive très souvent de broyer du noir, de me trouver imbécile, ou d’être dépressif. Par contre je suis heureux. Parallèlement je nourris aussi mon existence en écrivant des romans, en dessinant et en faisant des tas d’autres choses.
Qu’évoque pour vous la thématique de Fantasy dans l’Art ?
Ce que j’aime beaucoup dans le mot Fantasy, c’est la chose qui n’est pas préparée, la chose qui n’est pas écrite d’avance, la chose qui ne répond pas à des critères de durabilité ou de précaution, tout ce qui fait que tout d’un coup quelque chose se révèle. En allemand la Fantasy, c’est l’improvisation, donc je suis tout prêt à vous parler en allemand (sourire).
Je dessine beaucoup sur mes projets, c’est comme une espèce d’ascèse. La chance peut faire qu’un coup de crayon malheureux ou un faux mouvement deviennent terriblement précieux.
Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Après l’Opéra j’ai eu un trou d’air comme en connaissent tous les auteurs ! Je vais publier un nouveau livre en septembre. Je travaille également sur la réalisation d’un musée archéologique en Chine, ainsi que sur deux autres projets dans des provinces chinoises qui n’ont pas le côté extraordinaire de l’Opéra mais qui sont en accord avec mes pensées. Je ne veux plus forcement faire des grandes choses mais simplement des choses qui soient pleines de sens et d’ambitions !
Paul Andreu, nous vous remercions infiniment d’avoir bien voulu nous accorder cet entretien en toute sincérité et nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos projets.
Pour en savoir plus sur le travail de l’architecte :
www.paul-andreu.com
sabine.favre@paul-andreu.com
COURTESY :
– Le Terminal 2F de Roissy Charles de Gaulle (copyright : ©Paul Andreu with ADP)
– L’Opéra de Pékin (copyright : ©Paul Andreu with ADPi and BIAD)
Interview : Christophe Menager
Photographie : Courtesy Paul Andreu
EXTRAIT DEDICATE 23 – Été 2010