« Quand l’architecture est belle et crée de la surprise, elle peut accéder au niveau supérieur d’œuvre d’art »
Oscar Niemeyer et la courbe
“Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire, ni la ligne droite, dure, inflexible, créée par l’homme. Ce qui m’attire, c’est la courbe libre et sensuelle. La courbe que je retrouve dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses rivières, dans les ondes de la mer, dans le corps de la femme préférée. L’univers est fait de courbes, l’univers courbe d’Einstein.”
Oscar Niemeyer, l’homme
“Je suis une personne simple, ouverte à la vie, apte à accepter tous les changements que les temps établissent. C’est pour cette raison que je comprends l’évolution de la famille, le triste et inévitable éloignement entre les parents et les enfants, la liberté que la jeunesse demande pour assumer sa propre destinée. Mais je me souviens, certes avec nostalgie et réserve, de nos bons vieux temps.” “L’une des choses qui marque le plus notre vie, et de façon inoubliable, ce sont les maisons où nous avons vécu.” “Je ne regarde jamais derrière moi. Je ne me suis jamais critiqué à partir des fautes commises. Je suis un fils de la nature, un être petit et humble qui s’y est inséré, et je lui transfère – du moins en partie – mes qualités et mes défauts. C’est ainsi qu’elle m’a fait.” “Que la nature est belle ! Elle se multiplie partout, elle garde la logique structurale dans tous ses secrets !”
Oscar Niemeyer, l’idéaliste
“Bien sûr, ma position politique m’a parfois posé des problèmes.” “Dans mes conférences, j’ai toujours dis que je ne n’accordais pas une grande importance à l’architecture. Il n’y avait rien de méprisant dans ces mots. Je la comparais à d’autres idéaux liés à la vie et à l’homme. Je me référais à la lutte politique, à l’aide que nous devons tous apporter à la société, à nos frères défavorisés. Qu’est-ce qui peut se comparer à la lutte pour un monde meilleur, sans classes, où tous sont égaux ?”
Oscar Niemeyer et le Brésil
“Mon problème pour me déplacer en avion me préoccupe beaucoup. (…) Mais je peux le prendre lorsque, me trouvant en Europe et n’ayant pas de bateau, j’ai envie de revoir le Brésil. Là, ce sont les racines qui commandent, la famille, les amis, les plages et les collines de mon pays.” “J’aime mon pays ; ses grandeurs et ses misères ; Rio, ses plages et ses montagnes ; les Cariocas, tranquilles et désinhibés, comme si leur vie était juste et sans discrimination. Du nord au sud, j’aime cet immense pays ! Je suis attaché aux plus démunis, sans toit ni nourriture, qui fuient la sécheresse, marqués par la détresse ; à mes frères révoltés des favelas qui occupent les collines. Je tente de les excuser quand la vie les transforme et que la justice implacable des hommes les poursuit.”
Oscar Niemeyer et la culture
“J’ai partagé pendant des années l’amitié de Rodrigo M.F. de Andrade, sa culture et sa générosité humaine. (…) Je me souviens de lui me disant : “Oscar, lisez les Grecs et les classiques portugais”. Je les ai lus. Et beaucoup. J’ai lu comme quelqu’un qui ne sait rien et qui veut tout apprendre. J’ai lu avec le dévouement avec lequel j’avais lu, des années auparavant, l’œuvre de Le Corbusier. (…) Je n’avais pas de prétentions littéraires. Je voulais juste pouvoir expliquer mes projets de façon claire et simple. Et j’ai poursuivi, penché sur la littérature du Brésil et du Portugal, sentant dans chaque auteur ses grandeurs et ses qualités.” “Quand un écrivain plus important me fascinait, je cherchais à lire son courrier. J’ai beaucoup appris en lisant les lettres de Lénine à Gorki, à Tchekhov, les Mémoires de Gide, Buñuel et tant d’autres !” “Personnellement, je préfère le langage simple de tous les jours. “La littérature s’agrandit quand elle s’approche du langage parlé”, a dit Moravia dans une interview.”
Oscar Niemeyer et l’inspiration
“L’inspiration ne surgit que quand une idée s’impose comme racine d’une solution cherchée. Le Corbusier l’a eue quand il a créé le grand arc pour le projet Centrosoyus de Moscou ; Picasso, en dessinant les croquis de Guernica ; Einstein, en élaborant la théorie de la relativité ; et Manuel Bandeira (i. e. poète brésilien), en terminant si joliment ses vers sur la mort – “Il trouvera le champ labouré, la maison propre et la table arrangée, chaque chose à sa place”.”
Oscar Niemeyer, l’architecte
“Quand une forme crée de la beauté, elle a dans la beauté sa propre justification.” “Je suis persuadé qu’un architecte ne doit pas se limiter à l’apprentissage de son métier. Il doit avoir une culture générale, lire les classiques, les contemporains, afin de mieux comprendre son environnement culturel. (…) J’ai toujours pensé qu’un architecte de talent doit savoir dessiner et écrire. Il ne pourra rien faire de grand ni de beau s’il n’a pas ces deux qualités. La troisième est l’image ; donc, la négation des règles.” “De Pampulha (1940) à Brasília (1955), j’ai fait le même chemin, préoccupé par les formes nouvelles, par l’invention architecturale. Réaliser un projet qui ne présentait rien de nouveau, une répétition de ce qui existait déjà, cela ne m’intéressait pas. (…) Parfois, je n’étais pas compris car il y avait vraiment une tendance à contester cette liberté des formes que je promettais.” “Quand Juscelino Kubitschek (i. e. président du Brésil qui a ordonné, en 1955, la construction de Brasília) m’a appelé chez moi, en 1952 à Canoas, pour me demander de l’aide pour construire Brasília, la nouvelle capitale, j’ai été passionné. C’était une œuvre qui m’intéressait et j’allais aider un ami que je suivais depuis longtemps. Je n’étais déjà plus préoccupé à donner d’explications à qui que ce soit, je me sentais à l’aise pour faire ce que je voulais.” “D’un trait naît l’architecture. Et quand elle est belle et crée de la surprise, elle peut accéder, étant bien conduite, au niveau supérieur d’œuvre d’art.” “La monumentalité ne me fait jamais peur quand elle est justifiée. Ce qui reste de l’architecture, ce sont les œuvres monumentales, celles qui marquent le temps et l’évolution de la technique ; celles qui, justes ou non du point de vue social, nous émeuvent.” “Quand un architecte dessine un immeuble et regarde ses dessins sur la planche, il voit le projet comme une œuvre déjà construite. Comme en transe, si le projet le passionne, il y pénètre, curieux, en examinant ses formes et ses espaces libres, en considérant les lieux où il a imaginé un panneau mural, une sculpture ou simplement un dessin noir et blanc.” “Toute ma vie je me suis penché sur l’architecture. C’était mon hobby, l’une de mes joies, chercher la forme nouvelle et créatrice que le béton armé suggère, la découvrir, la multiplier, l’insérer dans la technique la plus avancée, créer le spectacle architectural.”
Propos recueillis par Cynthia Garcia Traduction : Luciano Loprete
Photographie : Matthieu Salvaing et D.R.
EXTRAIT DEDICATE 05 – Printemps 2005