J’essaye de dater, de me souvenir. Tout est si loin, presque vingt ans peut-être, et puis soudain c’est hier. Les images défilent les unes après les autres, d’abord brouillées puis de plus en plus nettes.
Il fait chaud, de cette chaleur humide, quasi tropicale qui vous enveloppe d’une moiteur lénifiante. Les brûlures d’un plein soleil estival électrisent les corps d’une sensibilité douloureuse. Jeu de réverbération où l’océan se fond d’un bleu azur. Un soupçon d’horizon, aperçu d’infini, comme un fil électrique oscillant du plus au moins. On éteint ses feux en trempant ses pieds sans prendre garde à l’électrocution.
“Electrique” comme un déclic et je remonte le cours de ma mémoire.C’est le mois d’août. Le sable est brûlant et il y a de l’électricité dans l’air. L’homme à ma droite négocie âprement sa bouffée d’oxygène, un apéro “Calimucho” où comment se délester d’une famille survoltée au bord de l’implosion. Sa femme gesticule, cartouche balancée de quelques mots électrifiés joliment déguisés de l’accent du sud. Je manie la fréquence pour décrypter l’indescriptible et déceler ma longueur d’onde.
Si, sur une plage basque en plein midi, une planche de surf sous le bras, tu vois un bleu électrique sous les cils noirs, il faut te dépêcher de suivre le tracé de ton électro-encéphalogramme qui hésite entre électrochoc et court-circuit. Même si je sais pertinemment que le neutre est une pure illusion dans ce domaine, je fais abstraction du danger potentiel qui me guette à proximité de cette électrode. L’homme me dévisage et j’encaisse la décharge. Un intense courant me parcourt de part en part, et si je tente un instant la coupure, j’essuie les effets de l’induction magnétique. J’ai su par la suite qu’il était un membre important d’un groupe “Electrogène” qui savait très bien s’y prendre pour électriser le public.
C’est le mois d’août. La nuit est douce, et je suis l’être aimant en mouvement qui convie le courant dans son conducteur. Substances en fusion, besoin d’une électrolyse pour dissocier la chimie qui s’opère entre nous. Mais pendant que les vagues viennent étaler leurs murmures sur les battements de nos cœurs, il me dit que sa vie est une ligne à haute tension, qu’il ne voudrait pas m’électrocuter. Déploiement de quelques courants alternatifs, subterfuges aux vérités les plus féroces.
“Electrique”, ce mot n’était pas magique décidément ! Je me souviens, épuisée, le souffle court, l’air hagard, essayant de reprendre mes esprits. Délire partiel, le tonnerre dans ma tête. Je revois ce ciel sombre annonciateur d’orage, la nuit était pourtant désespérément calme, je ne payerai pas la facture.C’est la fin du mois d’août. Le ciel est chargé d’électricité, un éclair au-dessus de nous, le court-circuit entre nous. Finalement je choisis de rester un électron libre.
Nouvelle : Jessica Segan
Illustration : Lea Rowena
Extrait DEDICATE 18 – Automne 2008