Architecte-paysagiste, Martha Schwartz se plaît à redessiner le monde. Avec passion.
Dès 1979, en imaginant d’aligner dans son petit bout de jardin des “bagels” vernissés sur du gravier coloré, Martha Schwartz franchit sans en avoir l’air la porte du monde horticole, plutôt rigoriste de tradition, et depuis longtemps divisé entre les classiques et les romantiques.
Très controversée, cette installation lui permis de faire une entrée fracassante dans le cercle des architectes paysagistesl’exubérance et l’humour dont elle faisait preuve renvoyant à des artistes de renom tels Franck Stella, Donald Judd ou Andy Warhol, tout en annonçant son intérêt prononcé pour le Land Art.
C’était prendre une direction nouvelle qui n’était pas pour déplaire à cette américaine fort peu conventionnelle qui aime vivre, marcher sur la plage, lire toutes sortes de choses, jouer ou écouter de la musique, et qui trouve que la seule contrainte de son métier est d’écrire les publications nécessaires à son travail. “Mon travail consiste à répondre aux nombreux besoins propres à l’architecture paysagère – programmatique, formel, esthétique, stylistique – tout en satisfaisant mon désir impérieux de créer une chose personnelle.”
La relation du travail de l’architecte paysagiste à l’art, encore très ambiguë, reste un débat qui passionne Martha Schwartz, elle qui désire particulièrement attacher son travail à la trace qu’elle laissera de son passage : “Le design de notre environnement est, pour nous architectes, la tâche la plus importante qui nous incombe au XXIe siècle.” Aussi sa réflexion donne toujours la place de choix à l’être humain, et les projets de son agence se soucient en priorité de la manière dont les gens se servent du paysage qui les entoure.
Car Martha Schwartz tient vraiment à défendre l’idée qu’aujourd’hui l’homme façonne le paysage dans lequel il vit, même lorsque ce paysage est naturel. “Un site possède aussi une histoire culturelle ; les coutumes, les relations sociales et politiques locales jouent un rôle.” Le but de ses créations est de proposer des espaces auxquels les riverains seront attachés, qu’ils aimeront utiliser et qu’ils entretiendront. “Si vous créez un espace auquel les gens ne s’accrochent pas, il ne passera pas l’épreuve du temps : il faut que le public établisse un lien avec le lieu pour garantir sa durabilité.”
Ainsi, elle invente des jardins sans végétaux, des rochers-fontaines de béton rose, plaque des carrés de faux gazon sur des façades, crée du mobilier urbain en forme de soucoupes volantes, réinvente le jardin à la française du XVIIIe siècle, comme le jardin de curé, et se passionne pour l’art japonais de la maîtrise de la nature… “Je me suis toujours intéressée aux matériaux nouveaux ou non conventionnels (…) car ce sont les matériaux avec lesquels nous vivons et construisons notre monde quotidien.” Proche de l’art, ses travaux et ses projets se présentent souvent comme des installations et sont toujours guidés par l’usage que les humains feront de ses architectures paysagères : “Le paysage doit être un stimulant pour le cœur, l’esprit et l’âme”, dit-elle.
En cela son travail s’appuie sur toute son expérience universitaire et professionnelle d’architecte, mais aussi sur cette sensibilité créatrice d’artiste qui fait de Martha Schwartz une architecte paysagiste à part très proche de notre environnement intime. “Malheureusement, les gens ont une notion très limitée de ce qu’est un paysage. (…) Notre paysage, contrairement à notre fantasme de nature sauvage, est ce que nous en faisons.” Aujourd’hui, Martha Schwartz est la figure de proue d’un petit groupe de paysagistes qui se sont positionnés entre l’art paysagiste et les arts plastiques. “Qu’importe le matériau pourvu qu’on ait le paysage”, pourrait être le credo de ce mouvement composé d’artistes conceptuels qui, forts de leur message d’originalité et de pragmatisme économique lié à l’approche conceptuelle de leurs réalisations, utilisent leur formation artistique pour nous faire partager une nouvelle lecture de l’architecture paysagère.
On est finalement loin du petit Bagel Garden du début des années 1980, mais là encore Martha Schwartz est acteur de son époque et sait que c’est principalement grâce aux médias qu’elle a pu faire partager sa passion créatrice : “La plupart d’entre nous n’ont vu des paysages qu’en images. Si cela ne remplace pas l’expérience réelle, c’est malgré tout mieux que de ne rien voir du tout.
” À découvrir “Les Paysages iconoclastes” de Martha Schwartz 310 illustrations, éditions Thames & Hudson.
Texte : Bruno de Caumont
Photographie : DR
EXTRAIT DEDICATE 05 – Printemps 2005