Après le portrait sensible et exclusif de l’artiste emblématique Jeff Koons par le galeriste Jérôme de Noirmont, nous avons en toute logique choisi de faire à l’inverse un portrait sincère du galeriste. Il s’est prêté au jeu de l’interview et a accepté de nous parler de la Foire internationale d’art contemporain qui se tiendra au Grand Palais du 26 au 30 octobre.
Pouvez-vous nous parler de votre passion pour l’art et nous dire comment on devient galeriste ?
Il n’y a pas de schéma classique. Il n’y a pas d’école pour devenir galeriste. Je crois que tous les gens qui font ce métier sont des gens passionnés par ce qu’ils font. Je n’avais pas de famille dans le milieu de l’art. J’ai commencé à 13 ans à collectionner des dessins du XVIIe siècle. Cela peut paraître un peu saugrenu, mais il y a trente ans, c’était très accessible. Je faisais du baby-sitting pour me payer des dessins. J’ai même commencé un peu avant, dès 8 ans, avec des collections de timbres. Je pense que la collection de timbres est très utile pour donner le goût de la collection. Cela permet de faire attention, d’apprendre à classer, à suivre des thèmes. Les timbres peuvent prendre de la valeur au même titre qu’une œuvre d’art, c’est aussi un produit marchand. C’est bien plus tard, vers 18 ans, que j’ai commencé à acheter de l’art moderne et c’est vers 20 ans que je me suis intéressé à l’art contemporain. C’est à cette période que je suis devenu antiquaire, jusqu’à 29 ans environ, et ça marchait très bien. J’ai cependant voulu changer d’activité car l’absence de relation avec le créateur vivant me manquait beaucoup. Je fréquentais beaucoup les bibliothèques et les musées afin de faire des recherches, découvrir ou redécouvrir des œuvres.
Avez-vous eu des influences qui vous ont porté ?
Oui, j’ai eu deux influences très importantes. La première, c’est l’achat de “La Gazette de l’Hôtel Drouot”, journal qui est pour moi indispensable. La seconde, ce sont les livres de Maurice Rheims. Il m’a transmis sa passion et donné le goût à la fois de la collection de l’objet ancien et des confrontations entre modernes et contemporains. Il m’a donné des ailes, une motivation pour continuer.
Soutenir et défendre des artistes requiert un engagement sans faille. Pouvez-vous nous dire comment ont eu lieu vos premières rencontres, et comment vous choisissez les artistes ?
Il n’y a pas de règle et de schéma absolu. Au début de la galerie, il y avait des artistes avec lesquels j’avais très envie de travailler et qui étaient peu ou mal représentés. J’ai donc commencé à les démarcher en leur proposant une représentation en France, en Europe et dans le monde pour certains. Au départ, ce sont donc des artistes très précis que j’ai eu envie de défendre et de promouvoir. Après, il y a eu les sollicitations de différents acteurs : musées, organisateurs étrangers, critiques d’art et voire les artistes eux-mêmes qui me présentaient leurs travaux. On est tous les jours sollicité. Je me déplace pour les rencontrer et découvrir leur travail. Cela peut déboucher, ou pas, sur une collaboration. Il faut savoir regarder et s’ouvrir à toutes possibilités.
Combien de temps se passe-t-il entre le moment où vous découvrez l’artiste et le moment où vous vous y intéressez ?
En général j’attends un peu. Une fois la décision prise de représenter l’artiste, on fait tout un travail d’archivage et de stock afin de savoir qu’elles sont les œuvres en sa possession, celles vendues et à qui. Cela prend donc un peu de temps avant de rendre publique notre collaboration. Pour le dernier très grand artiste français que l’on représente, Fabrice Hyber, on a mis pas loin d’une année pour organiser la première exposition. Et, comme en amitié, chaque relation avec un artiste est différente.
Votre galerie est l’une des galeries les plus actives et représentatives sur le marché de l’art en France et à l’étranger. Comment vous positionnez-vous par rapport aux institutions de l’Hexagone et aux organismes à l’étranger ?
Nous travaillons beaucoup avec les musées, les institutions, les fondations françaises et étrangères. Nous avons beaucoup travaillé avec des fondations étrangères, à travers des expositions monographiques qui ont souvent été itinérantes. Je pense entre autres à celle de Bettina Rheims qui a voyagé dans les principaux musées d’Europe comme Helsinki, Oslo, Vienne, Düsseldorf, Bruxelles et dernièrement Lyon, au musée d’Art moderne. On a également organisé beaucoup d’expositions de Pierre et Gilles depuis cinq à sept ans, à travers le monde, notamment dans les pays d’Asie et aux États-Unis. À côté de cela, nous faisons beaucoup de prêts pour des expositions organisées par d’autres, qui nous sollicitent parce que nous représentons tel ou tel artiste qu’ils souhaitent inclure dans leur exposition. Nous travaillons également avec quelques institutions en France, mais un peu moins je dois dire. Il y a quand même eu de grands projets, comme dernièrement la rétrospective de Bettina Rheims au musée d’Art contemporain de Lyon, ou l’exposition de Keith Haring à la Fondation Dina Vierny à Paris. Tous nos contacts se construisent avec le temps. C’est toujours un grand plaisir et un devoir de travailler avec les institutions françaises ou étrangères. Quels que soient les acteurs du marché, la galerie a pour engagement de se battre pour défendre et faire connaître ses artistes auprès du public et de réussir ses expositions.
Quels sont vos goûts concernant la sélection des artistes que vous défendez ? Le support est-il important ?
J’aime tous les types de supports, et je crois qu’il y a de très grands artistes qui font de la vidéo, d’autres de la peinture, d’autres de la photographie, etc. Ce n’est pas le support qui est important, mais ce qu’il dégage et ce qu’il communique. Il vous pousse à réfléchir. Ce qui est intéressant dans l’art contemporain, c’est qu’il nous parle de préoccupations actuelles et à venir. Je pense que les artistes ont un don de prémonition. Je crois aussi que l’art a un rôle et une mission sociale et éducative.
Beaucoup de personnes n’osent pas, peut-être par ignorance, entrer en contact avec la création artistique contemporaine. Pour un public non averti, quel conseil donneriez-vous pour aborder le plus simplement la création artistique d’aujourd’hui ?
Le public a beaucoup de chance car la France a un patrimoine et des réseaux culturels extrêmement riches. Tout est propice à la découverte de l’art. Je voyage beaucoup et je peux vous dire qu’il y a des villes où, à part un musée de-ci de-là, rien ne se passe. Alors j’invite le public à pousser les portes des musées, des galeries, ils seront accueillis à bras ouverts. Il faut vaincre sa timidité et dépasser ses préjugés. Je leur dirais de prendre leur temps. Après c’est un choix entre telle ou telle autre activité !
Enfin, avez-vous des projets ? Pouvez-vous nous en dévoiler quelques-uns ?
Ils sont nombreux. Il y a l’exposition rétrospective pour les trente ans de Pierre et Gilles qui ouvrira ses portes à Moscou en 2007, puis à Saint Pétersbourg, et rejoindra ensuite le musée du Jeu de Paume à Paris. Il y aura également une grande rétrospective des œuvres de MacDermott et MacGough à Dublin en juin 2007, puis à Rotterdam. Et puis il y a la programmation de grandes expositions monographiques à la galerie et d’autres projets plus ou moins importants. Le chemin continue.
Galerie Jérôme de Noirmont, 36-38 avenue Matignon, 75008 Paris
Tél : 01 42 89 89 00, fax : 01 42 89 89 03
e-mail : info@denoirmont.com
Interview : Christophe Menager
Photographie : Bettina Rheims
Published : Automne 2006
EXTRAIT DEDICATE 10 – Automne 2006