Il y a trois catégories de citadins. Ceux qui vivent la ville. Ceux qui la font, en dessinent les plans, décident de sa forme future. Et il y a ceux qui la vivent en la faisant.
Ces graffeurs ou affichistes qui, à travers un bricolage esthétique, se réapproprient l’espace urbain, réinvestissent la place publique pour en faire un lieu réellement habité. JR, “artiviste” depuis bientôt dix ans, est de ceux-ci.
2004, JR investit les murs de la cité des Bosquets, à Montfermeil. Grands formats collés aux murs, avec l’aide des habitants, sans celle de la mairie, qui les fera aussi vite retirer.JR travaille depuis toujours au mépris du code de l’urbanisme. Ancien graffeur, reconverti en photographe, il prend ce que tout le monde ne voit pas, puis a l’idée d’afficher ses images sur les murs de Paris. Acteur des coulisses, il s’intéresse aux marges, déjà vaguement conscient de ce que Susan Sontag disait : “photographier, c’est conférer de l’importance”. Celui qui refuse d’être considéré comme un “artiste de banlieue” est passé des visages des jeunes de Montfermeil à ceux des habitants de la Providencia, la plus vieille favela de Rio, à ceux du plus grand bidonville d’Afrique, à Nairobi, puis l’Inde et le Cambodge, dans le cadre de son projet WOMEN. Entre-temps, il a mené à bien plusieurs autres projets dont “Face 2 Face”, qui met face à face Israéliens et Palestiniens. En affichant à Hébron, sur le mur qui sépare Gaza du reste du monde, “Face 2 Face” investit les deux territoires, et convainc les populations locales : les mains se tendent de part et d’autre du mur. Tout ça à (seulement) 25 ans.
On dit “il”, mais JR n’est pas une personne, JR est un collectif, des dizaines de petites mains, et pas de “grand cerveau” pour les diriger, meme si JR écrit à la première personne du singulier sur le blog qu’il tient pour Libération. JR travaille son anonymat, vient à dix avec des T-shirts “I am JR” pour le vernissage de ses (leurs) expositions, de plus en plus nombreuses. JR n’est pas un, il est plusieurs, travaille en groupe, et fait travailler les autres. On voit le cheikh Abdul-Aziz, qui figure sur une des photos les plus célèbres de l’artiste, entre un rabbin et un prêtre, coller sa propre photo sur “Le” mur. Chacun de ses grands affichages sollicite les habitants des lieux, les initie à l’art du collage : l’artiste est aussi pédagogue. En novembre 2007, il conçoit le numéro spécial de Libération qui lui est consacré comme une affiche, et déploie dès la deuxième page du journal un kit illustré pour apprendre au lecteur à la coller dans la rue, mode d’emploi d’une pratique bien illégale, en deuxième page d’un des grands quotidiens français.
JR réfute le terme “activiste”, l’idée de photographe “de guerre”, ou la comparaison avec les grands reporters du XX° siècle comme Robert Capa, il préfère le terme “artiviste”, acteur “pas engagé, mais engageant”. L’oeuvre de JR, pourtant, est éminemment politique. Elle parle de paix et de respect, elle sollicite les témoignages et immortalise les sourires, avant de les restituer, en grand format sur les murs, et, depuis quelques temps, en vidéo. Grand ami du collectif Kourtrajmé, qui a filmé certaines de ses prestations, JR veille à ce que sa démarche soit visible et compréhensible par tous alors même qu’il se refuse à l’interpréter. Désormais multimédia, JR ne veut pas donner de réponse, mais simplement “poser des questions”, comme à travers les nombreuses vidéos de son blog, autant de
témoignages, le plus souvent déchirants, de femmes “discriminées en temps de paix, considérées comme cibles en temps de guerre”.
Aujourd’hui, JR a du succès. Même son anonymat est remis en cause, lui que l’on associe de plus en plus souvent à son chapeau et ses lunettes noires. Il a été invité un peu partout : Biennale de Venise, Rencontres de la photo à Arles, ou à la Maison de la Photographie à Paris, qui choisit de l’exposer à l’extérieur.Internationalement reconnu, les galeries se l’arrachent, les salles d’enchères aussi, lui, préfère encore la rue, et dit “posséder la plus grande galerie d’art au monde”.
Texte : Cyril Blanc
EXTRAIT DEDICATE 20 – Printemps/Été 2009