Ma vie d’urbain stressé est speed. Je cours sans cesse après le temps que je n’arrive hélas jamais à rattraper alors que lui me possède toujours entre les griffes de fer d’une l’horloge B.P.M-isant la cadence infernale de mes jours, de mes nuits.
Je suis dans l’excitence, ce besoin très fort de me sentir exister pour mieux oublier que la vie file à toute allure, mais c’est avec fière allure que j’allais lui faire la nique. Le tempo de la journée se ralentissant le temps d’un break, d’un 5 à 7, l’heure entre chien et loup d’un janvier grisâtre qui vous enveloppe de sa vague à l’âme. Il me faut déconnecter du temps. Le temps d’un instant, éphémère. M’offrir l’illusion de pouvoir l’arrêter. Appuyer sur pause. Alors je m’engouffre dans l’abîme. Un dédale de couloirs cliniques et sombres, où d’autres corps en état d’urgence viennent aussi se perdre ou s’offrir, le temps de vie d’une bulle de plaisir instantané. Instant damné. Sans même parler, simplement geindre quelques paroles suaves, “stimulinguistiques”.
S’évader du réel et du temps galopant au-dessus de nos têtes. Des corps aux démarches chaloupées ou puissantes rasent les murs de zinc de ce labyrinthe porno-graphique. Une bande son électro minimale “Kompakteasée” rythme la cadence de ce catwalk frénétique, stroboscopé par les changements de plans des films X-rated projetés sur les écrans équipant chaque cabine. Chacun cherche son fuck body. Je me trouve dans l’antre du désir consumériste, sorte de fast-food sexuel, véritable supermarché high-tek de viande humaine.
Et l’heure tourne, tourne, comme tous ces corps avides de plaisirs immédiats. Les portes de fer claquent et derrière l’on s’abandonne à l’autre. Inconnus. Nus. Le temps n’est plus. Les corps se mélangent et s’abreuvent de fluides charnels. On fait le plein de jouissance, et le vide en soi. Le temps d’un coït animâle. Quelques coups de reins exutoires, quelques saccades de râles amères s’envolent en échos au-dessus des cabines. Petites alcôves d’essayage de langues, de peau, d’odeurs, d’orifices, d’artifices syliconés. Lupanar moderne où l’on s’oublie dans le plaisir demeurant le seul et unique maître. Comme si pour sortir du temps il fallait entrer en l’autre et s’y dissoudre comme dans une éternité de chair. Simulacre d’acte de reproduction pour un simulacre d’éternité. Etreintes sulfureuses interdites. Corps à corps déchaînés enchaînés. Je pénètre l’être de paraître. Va et vient infernal, je m’abandonne aussitôt dans ce réservoir de latex Durex. Sex Kleenex-pliqué. Sceau d’Homme et Petite mort sur sa chute de reins. Mais déjà les tic tac de mon horloge interne me rappelle à la surface, qu’il me faut regagner. Sa main remonte ma braguette. Je ne saurai jamais son prénom. Je suis essoufflé. Mon cœur bat fort. L’endorphine emplit toutes mes veines. Mon front perlant de phéromone. Je refais surface dans le chaos urbain de cette fin de journée. Je suis comme vide. Rassasié de chairs fugaces. Je disparais anonyme dans la fourmilière humaine.
Mais l’avais-je au moins aimé ? Ne serait-ce que ce court instant, déjà englouti dans les méandres de l’oubli, où seul en moi dort profondément la douloureuse réponse.
Texte : Cyril Xavier Napolitano
Illustration : Stephane Jourdan
Extrait DEDICATE 11 – Hiver 2006/2007