Derrière ses accents afrobeat ou thai pop inédits, Tropical Suite, nouvel album du quintet parisien, garde le cap d’un rock puissant et lyrique, aussi ombrageux que solaire. Si la rencontre avec le compositeur Laurent Bardainne et le chanteur Nicolas Ker, direction bicéphale du groupe, ne percera pas tous les mystères de leur alchimie particulière, elle lèvera le voile sur leur fonctionnement intègre et leur complicité habitée.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous rencontrés ?
Nicolas Ker : Par petite annonce ! Les autres avaient déjà enregistré et mixé tous les instrumentaux du premier album, sauf She’s On The Radio.
Laurent Bardainne : Oui voilà, j’avais toutes les lignes mélodiques en tête mais pas de chanteur pour les interpréter. Au moment où nous avons signé avec le label Tigersughi, nous avions une chanteuse originaire de Bristol qui nous a quittés très vite. Le groupe s’est retrouvé pendant six mois sans chant, on a juste fait Budapest avec Olga Kouklaki qui nous avait été recommandée par le producteur Marc Collin. Notre boss Joakim a alors posté une annonce sur le site du label, et parmi tout ce que j’ai reçu, il y avait l’envoi de Nico. Je me suis rendu compte que nous étions voisins, alors je l’ai fait venir un midi chez moi.
NK : Avant ça j’avais écrit beaucoup de musique de mon côté, des choses qui ne sont jamais sorties. Quand j’ai retrouvé Laurent chez lui, ensemble, on a bu des bières non-stop toute la journée, à parler de tout, de politique comme de musique. Je me suis retrouvé à improviser sur une cassette qu’il m’a laissée, sans même me donner d’indications.
LB : Avant ça, j’avais essayé Mathieu de Lescop, il avait notamment bossé sur Involutive Star.
NK : Pourquoi tu ne l’as pas pris, Lescop ? Il est bon, aussi.
LB : Je ne sais pas (rires).
Le fait que votre collaboration s’inscrive dans la durée était-il dès le départ une évidence?
NK : Non, pas tout de suite. Comme je te le disais, pour le premier album tout était quasiment bouclé, il ne manquait que les parties de chant. Laurent m’a dicté vite fait les lignes vocales et j’ai dû écrire les paroles très vite. En revanche, pour le deuxième album Images Of Sigrid, j’ai été impliqué dès la genèse du projet, et là on est resté un bon moment ensemble, juste tous les deux, en binôme : lui à créer la musique, moi les paroles et le chant. Poni Hoax, c’est comme ça : la règle, c’est que c’est Laurent qui compose. Et je ne ressens aucune frustration par rapport à ça : si j’ai envie de le faire, je compose pour mes projets solos ou pour Arielle (Dombasle, ndlr). En revanche, si Laurent m’interdisait de faire des choses ailleurs, ça serait un problème, mais ce n’est pas du tout le cas (rires).
Est-ce que vous vous sentez plus libre en vous concentrant exclusivement sur vos textes et votre chant ?
NK : Ah oui, complètement. “Il n’y a pas de liberté sans contraintes”, j’ai écrit ça dans mon cahier de textes quand j’étais en troisième. J’ai écrit des centaines de chansons, dont j’ai trouvé seul toutes les lignes vocales, et la seule personne dont j’ai accepté qu’elle m’en dicte, c’est Laurent.
LB : C’est important d’insister sur la liberté que ça entraîne: par exemple dans mon autre groupe Limousine, on a fixé qu’il n’y aurait pas d’improvisation, et au sein de ça on arrive à développer notre créativité, ou lorsque je joue avec Thomas de Pourquery pour Supersonic, je suis juste sideman et je fais exactement ce qu’il me dit de faire. Là où je rejoins Nico, c’est qu’on aime bien avoir des cadres en fait, et pour ce qui est de Poni Hoax ce règlement préétabli empêche les conflits d’égo : il co-écrit les chansons, moi j’écris la musique et les autres la jouent.
NK : On est un peu une sorte de crew à la Wu-Tang Clan, où tout le monde joue avec tout le monde, avec des dispositifs précis : tous nos groupes ou projets parallèles naissent d’une nécessité pressante. Par exemple, je peux avoir ce e musique dans ma tête et savoir qu’il faut que ce soit le guitariste Maxime Delpierre qui la joue, et pas un autre. Poni Hoax, ça part de Laurent qui entend quelque chose, et dans le reste du groupe nous sommes au service de ça. Moi je ne pourrais pas composer du Poni Hoax, ce n’est pas possible.
Depuis plus de dix ans que vous travaillez ensemble, cette répartition des rôles a-t-elle évolué ?
NK : Non, puisque comme je te l’ai dit, Poni Hoax, c’est avant tout la vision de Laurent, qui ne travaille pas du tout de la même manière dans Limousine, par exemple. Pour ce qui me concerne, je vais essayer de faire un deuxième Dombasle/Ker assez vite, et sur l’un des titres je vais demander à Laurent et Thomas de Pourquery de jouer quelque chose de très précis, parce que je sais qu’ils peuvent le faire magnifiquement bien. C’est ce qui nous relie tous au sein de ce posse que je suis en train de te décrire : quels que soient nos projets, ils doivent être servis par des gens précis. Nous ne sommes absolument pas dans des jeux d’égos. Si on s’engueule, c’est à un niveau humain, pas dans ce processus de création.
LB: Si tout d’un coup notre guitariste venait proposer ses propres compositions, ça ne tiendrait pas. Se retrouver en groupe, savoir que chacun a son rôle précis et soit content de bien le tenir, vu les temps difficiles que nous traversons, fait que ce fonctionnement-là a un côté rassurant.
NK : Même si Poni Hoax nourrit ce que nous faisons à l’extérieur, ce n’est pas le centre de notre galaxie, il se trouve juste que c’est le groupe qui fonctionne le mieux à un certain niveau médiatique.
Justement, Poni Hoax jouit d’une certaine notoriété, tout en ayant une image underground. Est-ce une situation qui vous convient pleinement ?
NK : Ah non, ça fait chier, ça. Je ne vois aucune différence entre le grand public et le reste. Quand Lou Reed a fait un tube avec Walk On The Wild Side à l’époque de Transformer, je ne vois pas en quoi ça aurait été mieux qu’il reste dans une cave, avec un frigo vide, à se taper la tête sur les murs.
LB : Dire qu’on se revendique de l’underground, ça signifie quand même qu’on prend le reste du monde pour des cons.
NK : Je ne vois même pas à quoi ça correspond. La musique, c’est quand même fait pour être entendu. Sinon, tu la gardes chez toi pour la faire écouter à ta mère et puis c’est tout (rires). Pour moi, cette intransigeance underground, c’est avant tout de la peur, celle d’être jugé. Alors que Kanye West arrive à faire écouter partout un disque comme Yeezus, qui est un album véritablement expérimental et barré. Comme Miles Davis avant lui avec Bitches Brew. ça ne veut pas dire que passer dans des émissions de grande écoute est un gage de qualité, mais j’insiste : ceux qui prétendent être purs parce qu’ils jouent dans des caves ont peur du jugement.
Laurent, vous avez une formation jazz, comme les trois autres musiciens de Poni Hoax que vous avez rencontrés au conservatoire. Pourquoi avoir monté un groupe de rock?
LB : Après ces années de formation, j’ai fait un rejet de mon instrument, comme beaucoup de musiciens à ce stade : tu travailles la technique pendant huit heures par jour pour finir par réaliser que tu ne seras jamais au niveau des plus grands. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse autre chose, et j’avais envie de rock. Avec les trois autres, on avait envie de salles pleines, de faire danser et kiffer les gens. De voir bouger le cul des filles, en somme (sourire).
Votre nouvel album a été enregistré en Afrique du Sud, au Brésil et en Thaïlande. Aviez-vous besoin de qui er votre environnement quotidien, pour mieux vous retrouver tous les cinq ?
LB : Juste avant, j’étais en tournée dans toute la France en plein hiver, et rien que le fait d’organiser tout ça, prendre des billets d’avion et réserver des hôtels en Thaïlande, su sait à changer mon humeur. Il faut aussi dire qu’on adore voyager, et que j’avais envie d’enregistrer au soleil. Je me suis vraiment dit qu’on n’arriverait pas à faire un quatrième album en restant à Paris, surtout après l’enfer qu’on avait traversé pour finir le précédent. Et puis avec Nico, on avait flashé sur les Karma Sound Studios, on aimait bien l’idée d’enregistrer un album les pieds dans l’eau.
Nicolas, vous aviez écrit vos textes avant de partir ?
NK : Oui, mais je venais de me séparer de ma copine et j’étais vraiment dans un état lamentable, à l’époque. C’était atroce, je n’arrivais pas à écrire sur autre chose que cette fille. Mais arrivés au Cap (en Afrique du Sud, ndlr), Laurent, Agnès (Dherbeys, photographe qui accompagnait Poni Hoax, ndlr) et Vincent (Taeger, batteur du groupe, ndlr) m’ont chacun dit une chose que je ne répéterai pas, et ce sentiment d’horreur s’est évaporé. J’ai tout réécrit sur place, mais Laurent a conservé certaines choses que j’avais faites quand j’allais mal, notamment Everything Is Real. J’avais tout refait avec une voix plus claire, mais Arnaud Roulin et Laurent ont préféré garder la première version, où j’étais vraiment au fond du trou.
Laurent, en tant que compositeur, le fait que les textes de Nicolas soient si personnels, ça compte ?
LB : C’est extrêmement important pour moi.
NK : C’est vraiment quelque chose d’organique: en général, Laurent me fait écouter une mélodie. Ensuite, au bout de dix minutes, je rentre dans une sorte de transe, et je visualise un titre, sans savoir de quoi ça parle. Puis lui change quelques petites choses en réaction à ce que ça lui évoque. Les paroles viennent ensuite, mais ça commence toujours par une sorte de boucle de mots, qui devient soit un couplet soit un refrain.
LB : Et puis on finit toujours par se prendre un peu pour Christophe Lambert et Richard Anconina dans Paroles et Musique (rires). Les meilleurs moments sont ces après-midis où on se retrouve tous les deux pour écrire de belles chansons.
Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier, l’un comme l’autre, avec ce groupe ?
NK : Que les disques soient entendus, tout simplement. Que tu viennes ensuite nous poser des questions dessus, c’est ça dont je suis le plus fier.
LB : Je suis assez d’accord : on passe deux ans sur un album, on l’écoute une fois finalisé, et ensuite c’est sa diffusion qui compte.
Qu’est-ce que chacun de vous préfère chez l’autre ?
NK : ça ne se dit pas ces choses-là (silence). En revanche je peux te dire ce qu’il m’a appris : avant je composais façon garage, et lui m’a expliqué comment faire groover les structures, pour faire danser les choses. C’est quelque chose d’inestimable qu’il m’a apporté.
LB : Ce que j’aime le plus chez Nicolas? Son obstination capillaire : il reste encore quelque chose (rires).
Interview: François Dieudonné
Photographies: Alex Brunet c/o DCA management
www.paneuropeanrecording.com www.facebook.com/PoniHoax/
Archives DEDICATE 35 – Printemps/Eté 2017.