1 300 ares pour de l’art Une exposition dans une exploitation Alternative ou avant-gardisme ?
Le décor est planté, au propre et au figuré. Sous l’innocente herbe verte, à côté de la pépinière, une sacrée histoire est enterrée.
Pays-Bas. Petit village de Heeswijk (52° 30’ N, 5° 45’ E).
Une exploitation agricole touchée en 1996 par la peste porcine. Mortelle pour le cochon, elle ne se transmet pas à l’homme. Tous les animaux sont abattus, les carcasses incinérées et enterrées. Le fermier, cherchant une autre source de revenus, se met à fabriquer du mobilier de jardin, vite réputé pour son design.
En 2003, un ami lui propose d’utiliser sa parcelle en jachère comme un lieu d’exposition d’art. C’est la première édition du Kunst Camping (www.dekunstcamping.nl/archief/ArchiefGeheel.htm). Pendant quatre ans s’organise une zone autonome temporaire, un campement estival assemblé de divers habitats réalisés sur place par des artistes invités ou de passage. Un petit succès pour cet art contemporain à la campagne. De belles fondations pour l’avenir.
Septembre 2007. “Les ambitions grandissent vite.”
Réaction de Matthijs Bosman, curateur de l’exposition héritière Dertien Hectare (Treize hectares), à l’explication du pourquoi et du comment : “Face à mes choix, l’organisation a eu peur que ces artistes, citadins pour la plupart, célèbres pour certains, ne trouvent aucun intérêt à ce projet paumé dans la campagne sud-hollandaise. Aussi tout le monde s’est montré créatif, têtu et rural pour ne pas imiter les initiatives artistiques des villes.” A l’entendre, le microcosme a bien des avantages : “Le réseau d’entreprises locales et de politiciens a fait que tout soit réalisable. Et puis quel bonheur de pouvoir offrir à un artiste un hectare de lieu d’intervention !”
Un artiste + un hectare de champ = une œuvre écolo ?
Le raccourci est facile, certains ont usé de cet environnement naturel pour poser une méthodologie dénonciatrice, s’en servir de vecteur narratif et créer une poésie. Marjolijn Dijkman a déterré un jeune chêne récemment planté dans le pré et l’a emporté pendant son voyage en Pologne. Elle a pénétré illégalement dans la fameuse forêt primaire de Bialowieza, échangé l’arbre hollandais contre un de la réserve naturelle, ramené et planté l’objet du troc à la place du chêne d’origine. Une mise en exergue efficace du business écolo, vidéo à l’appui.
Pendant deux jours, Jeroen Jongeleen a accroché dans les arbres des milliers de sacs plastique de couleur. Comme si la présence d’un centre commercial dans une campagne désolée n’était plus absurde. Son installation, “Who’s afraid of red, yellow, blue, green, orange and purple ?”, accuse une société qui consomme, qui pollue avec un certain esthétisme. Le sac jetable du magasin est synonyme du sac durable dans la nature. Un paradoxe ! Faut-il trouver de la beauté à ce qui défigure ? Matthijs Bosman le précise : “L’intrusion d’objets artificiels dans un paysage naturel fait que le lieu devient spécial. Sans ces/ses œuvres d’art, il ne serait rien.”
L’exposition, qui n’aura duré qu’un mois, était sous-titrée “The meadow that wanted to become famous, soit le pré qui voulait devenir célèbre. “Par chance, le pré a choisi l’art pour y arriver”, conclut-il.
L’humanité entretient ses lieux célèbres par des actes de guerre (Waterloo, Hiroshima, les plages de Normandie…), par des catastrophes (Tchernobyl, tunnel du Mont-Blanc…), par leur mythologie (Area 51…) ou par leur importance archéologique. L’exposition Dertien Hectare aura introduit la reconnaissance d’un lieu par l’art, avec plus d’avenir et moins de passé.
Chronique : Jerôme Demuth
Photographie : Jeroen Jongleen pour Best Influenza
EXTRAIT DEDICATE 14 – Automne 2007