A priori, ça a tout du conte de Fée moderne, genre Cendrillon du ghetto: l’histoire d’un type qui, élevé à l’école brute du bitume et des barres de béton se retrouve à l’affiche du futur blockbuster de Tarantino présenté à Cannes.
Jacky Ido, un Black Moses sauvé des eaux troubles de la banlieue, sur le radeau pelliculé du cinéma?
Que nenni. En fait de French Dream d’un immigré burkinabé miraculé, on se retrouve face à un ours brun à fleur de peau, au langage clair comme de l’eau de roche. Un gaillard bonhomme et sûr de lui élevé aux bouquins- de Marvel à Proust- et au cinéma -de John Ford à Jacky Chan-.
Son histoire est celle de ces mecs passionnés qui très tôt savent ce qu’ils veulent… et qui bossent pour y arriver. Cinéphage d’abord, cinéphile ensuite, il se prend de passion pour le travail d’Idrissa Ouedraogo, les scénarios de Paul Schrader ou Jim Sheridan, le style conceptuel de Lynch.
Puis la pratique : il imprime en autodidacte ses fantasmes visuels sur le caméscope de son père, “quitte à faire n’importe quoi”. Pragmatique, il est certain qu’on apprend par ses erreurs. C’est néanmoins sa rencontre avec le réalisateur expérimental Hugo Verlinde, son Pygmalion, qui le confortera dans sa vocation, son obsession cinématographique. Hors des sentiers balisés des usines à techniciens, Hugo lui enseigne la liberté maîtrisée, la création affranchie des diktats, sur les chemins de traverse du 7ème art.
Une petite famille solide et fidèle complète le tableau : son frère d’abord, Cédric Ido, acteur bardé de talent qui soutient Jacky dans chacun de ses projets, mais aussi l’artiste Grand Corps Malade et Manuel Shapira qui l’épaulent coûte que coûte. De courts en docus, qu’il réalise ou sur lesquels il collabore, il est amené, pour les besoins de certains tournages, à passer face caméra. Par ces alchimies improbables et miraculeuses, il s’avère qu’il imprime la pellicule comme personne, que son naturel décomplexé, son regard franc du collier, son énergie débordante et honnête séduisent l’oeil sélectif de l’objectif, bouffent l’écran.
De fil en aiguille, et alors que sa vocation première reste la réalisation, son destin d’acteur se tisse à son insu. Car s’il réalise le court “Descente”, c’est avant tout son jeu qui monte en puissance. Le regard de quelques casting directors inspirés se tourne vers lui, il enchaine Tropiques Amers, White Massaï, Les enfants du Pays avec Michel Serrault, Aide toi et le ciel t’aidera de François Dupeyron…
Puis rien. Enfin pas grand-chose. Tranquille néanmoins, il enquille avec des projets perso, la préparation d’un long métrage, une série documentaire “déstigmatisant”la banlieue, quelques voyages, beaucoup de Slam’aleikoum (un collectif qu’il crée avec des potes), tout roule. Jusqu’à ce casting, un truc auquel il ne croit pas trop, pour un film de Tarantino : une relecture à la sauce seconde guerre des 12 salopards. La magie opère, Quentin craque, un tournage l’hiver, une sélection officielle pour le Festival de Cannes 2009. C’est reparti, comme en 40, le thème de Inglorious Basterds d’ailleurs, et celui du prochain Lelouch, dont il tiendra l’affiche. Réalisateur, slammeur, aujourd’hui acteur prometteur, l’histoire de Jacky tient finalement du scénario idéal. Sauf pour lui, qui vit juste les choses à fond, sans penser aux lendemains. Et c’est peut-être là que réside sa force : vivre ses rêves éveillés simplement, la tête sur les épaules là où d’autres, la tête dans les étoiles tireraient déjà des plans sur la comète.To be continued…
Texte : Karim Zehouane
Photographie : Serge De Rossi
Published : Printemps/été 2009 – DEDICATE 20