Élodie Navarre a suivi des cours de théâtre au conservatoire du XXe arrondissement de Paris puis a intégré l’équipe des jeunes espoirs de Canal +. Elle démarre une carrière au cinéma relativement jeune grâce à Marion Vernoux dans “Love etc…”.
Des rôles de plus en plus divers lui seront alors proposés. Son visage neutre lui permet d’incarner différents types de femmes, de la fille de bonne famille, à la strip-teaseuse. Elle tourne sous la direction d’anciens, comme Philippe de Broca, Jean Becker, ou de jeunes comme Frédéric Schoendorffer, Éric Rochan. Au théâtre, on a pu la voir cette année en tournée avec “L’autre”, la première pièce de Florian Zeller. Ce pétillant petit brin de femme de 26 ans, au minois malicieux et à l’intelligence vive, se laisse diriger par mes questions sur une banquette du China Club, alors qu’elle vient tout juste de quitter son dernier tournage sur lequel elle interprète une pianiste concertiste dans les années 1900. Mais qui se cache vraiment sous les mèches ondulées de cette jeune demoiselle du cinéma français ?
Comment te présenterais-tu à quelqu’un qui ne te connaît pas ?
Bonjour, je m’appelle Melody… Melody Nelson ! Et toi ?
Quelques adjectifs pour te définir ?
Intelligente, drôle, curieuse, aimante, généreuse, vive, créative, sportive, spirituelle, sereine, belle… Parfaite quoi ! (Lol.)
Si tu étais un parfum ?
Il serait sucré, fruité, piquant !
Une ville ?
Sydney. C’est loin, c’est entouré d’eau, c’est à la fois New York, Londres et la Californie, avec un peu de campagne. J’y ai passé un moment. C’était bien.
Une fleur ?
Le coquelicot. J’aime son rouge, ça pousse en liberté, souvent près des chemins de fer. C’est une fleur éphémère, quand on la cueille on la tue.
Un verbe ?
Mentir. Ça s’utilise très simplement.
Un royaume ?
La maison en pain d’épices de Hansel et Gretel.
Tu fais partie d’une “nouvelle vague” de jeunes actrices françaises. Que penses-tu du cinéma français actuel?
Le cinéma français se porte plutôt bien, contrairement à d’autres pays européens qui ont eu des années glorieuses mais qui ne produisent plus que très peu de films et qui ont dû fermer leurs studios. Nous sommes dans une bonne période avec plein de jeunes réalisateurs qui émergent. On peut découvrir pas mal de genres différents : polars, comédies, films d’époque, d’horreur, etc. Mais il nous manque quand même quelques films d’aventures, et c’est bien dommage. N’oublions pas non plus que les films français s’exportent un peu partout dans le monde. Je suis vraiment contente de grandir avec cette génération pleine d’énergie.
Avec qui aimerais-tu travailler ?
Ça m’ennuie un peu de donner des noms comme ça sur le vif. Disons juste que si ce sont de bons projets, je ne me pose pas trop de questions et je m’y aventure.
Quels sont tes films-cultes noir et blanc ?
Le premier serait “Le dictateur” : trop drôle, trop fou, on ne se lasse vraiment pas de regarder Chaplin en hystéro passionné par le pouvoir. Le deuxième, pour tout, l’histoire, le réalisateur, et surtout l’actrice qui m’inspire tellement : Françoise Dorléac dans “La peau douce”, de François Truffaut. Le troisième serait pour le souvenir du choc qu’il m’a provoqué : “La haine”, de Matthieu Kassovitz, ce film est super fort, violent, vrai, bref vraiment beau, j’étais sortie sonnée. Et le dernier que j’ai vu en noir et blanc : “Les amants irréguliers”, de Philippe Garel, auquel je suis très sensible, j’aime ses dialogues et la manière dont ils font écho en moi.
Dans lesquels aurais-tu voulu tourner ? Pourquoi ?
“Le dictateur”, pour le plaisir de jouer muette.
Comment sont l’Élodie noire et l’Élodie blanche ?
Je commence par l’Élodie noir foncé : c’est quand je suis très contrariée. Alors là surgissent parfois des colères spontanées, ridicules, inutiles, suivies d’un peu de mauvaise foi. Et l’Élodie blanche, c’est en voyage, c’est à dire libre, disponible, aventureuse, sereine.
Un beau souvenir de ta jeune carrière ?
En ce qui concerne les bons souvenirs, j’en ai beaucoup. Mais ce qui me vient spontanément, c’est l’apprentissage en quelques jours d’une danse de streap-tease à la show girl de Verhoeven qui ouvre le film “Gomez et Tavarez” de Gilles Paquet-Brenner. Si tu savais le trac que j’ai eu le jour ou j’ai dû montrer au réalisateur le fruit de ce laborieux travail, et finalement le plaisir que j’ai eu à tourner la scène.
Raconte-nous une anecdote récente…
Il m’est arrivé un moment vraiment drôle la semaine dernière lors d’une séance de cinéma. On m’avait offert un ballon gonflé à l’hélium juste avant que j’aille voir un film. Me voici donc dans la salle avec ce ballon que je tente de coincer sous mon siège. Et pas de chance. Lors d’un moment d’inattention, en plein milieu du film, le ballon s’échappe et s’envole au plafond jusque devant l’écran. La salle s’est mise à râler, jusqu’à faire appeler le personnel. Quelqu’un est arrivé avec un grand escabeau qu’il a dû placer en plein milieu de l’écran pour attraper ce foutu ballon. Une fois le ballon attrapé, il s’est retourné vers la salle pour demander à qui il appartenait. Évidemment je ne me suis pas manifestée. Heureusement le film était chiant.
Avec qui aimerais-tu jouer ?
Avec plusieurs actrices de ma génération, dont j’aime beaucoup la personnalité ou le travail, comme Cécile de France, Audrey Tautou, Marion Cotillard, Romane Bohringer, Isabelle Carré, et d’autres encore.
Et quel rôle de grande héroïne ?
Là aussi il y en a évidemment plusieurs. je pense à “Thelma et Louise”, elles m’ont fougueusement embarquée dans leur aventure sans issue.
Pourquoi ?
Et pourquoi pas !
Comment te protèges-tu ?
Par la dérision !
Comment te projettes-tu dans dix ans ?
Un peu plus mature !
Si tu n’avais pas été actrice, qu’aurais-tu fait ?
Comédienne, car actrice c’est trop dur ! (Lol !)
Tu dis être intéressée par la fêlure chez l’autre…
Je ne suis pas seulement intéressée par la fêlure chez l’autre, j’ai juste l’impression que lorsqu’on est dans sa fêlure, on est plus proche de sa vérité. Quand on parle de quelque chose qui nous a abîmé, la sincérité émerge, la voix se pose, le trouble surgit, on devient honnête, on arrête la mascarade, c’est ce que je ressens là.
Décris-nous ton univers artistique…
Je n’ai pas d’univers artistique précis ou défini. Je me cherche encore beaucoup. Alors je me construis à travers les rencontres que je fais. Je ne sais pas toujours ce que j’aime, mais plutôt ce que je n’aime pas. Et puis, de toute façon, j’aime bien me balader d’un univers à l’autre. N’importe qui de passionné peut m’embarquer, façon de parler évidemment.
Qu’écoutes-tu sur ton iPod ?
J’aime bien la country folk, j’écoute beaucoup Bob Dylan, Johnny Cash. J’aime bien aussi les voix abîmées comme celle de Tom Waits ou de Marianne Faithfull. En ce moment j’écoute un nouveau venu nommé Adanowsky, c’est une sorte de dandy surréaliste qui chante un mélange rock’n’roll de Paolo Conte et Joe Dassin.
Qui aurais-tu voulu rencontrer ? Pourquoi ?
Ernst Lubitsch. Il m’aurait peut-être fait jouer dans l’un de ses films, qui sait… ?
Tu dis aimer être dirigée. Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Cela signifie que j’aime me soumettre au désir de l’autre…
Est-ce la recherche d’une forme d’amour ?
Peut-être, oui.
Avec quel grand acteur et réalisateur voudrais-tu tourner et pourquoi ?
N’importe lesquels, du moment qu’ils soient “grands”.
Qui se cache derrière la pétillante Élodie ?
L’énergie du désespoir !
Tu dis que jouer permet d’être ce qu’on a peut-être peur d’être dans la réalité…
Au théâtre, ou au cinéma, je joue des personnalités que j’aurais aimées parfois être dans la vie. C’est sûr que lorsque l’on joue, on ose plus se libérer que dans la vie de tous les jours. Enfin pour moi c’est certain.
De quoi as-tu le plus peur ?
Je ne suis pas trop peureuse. C’est plutôt l’angoisse qui s’installe chez moi de temps en temps, ou la mélancolie. Mais c’est un sentiment que j’aime bien la mélancolie… Rien que la sonorité est jolie.
Enfin, quel serait LE grand rôle de ta vie ?
Je ne l’ai pas encore rencontré.
Interview : Cyril Xavier Napolitano
Couverture: Jf Campos – Photographie : Felix Lammers
Published : Automne 2006 – DEDICATE 10