C’est dans une alcôve du capiteux bar-restaurant de l’hôtel Raphaël que la plus française des mexicaines nous offre un entretien mezzo voce tout en douceur, comme un flirt avec les masques de la vie et de la mort…
Comment allez-vous en ce début d’interview (le 16/02/2011) ?
Ecoutez, je vais très bien puisque je suis en pleine exaltation dans l’enregistrement de mon nouvel album « Diva Latina ». Je suis donc toute à cette réalisation, je cours d’ailleurs en studio juste après notre rendez-vous…
Qui fut l’une de vos plus fortes inspirations, Sor Juana Inez de la Cruz ?
Sor Juana est une grande figure catholique dans le Mexique du XVIIe siècle, une carmélite tellement spéciale et tellement brillante, à l’époque où les femmes ne pouvaient avoir accès à la culture que dans les couvents. C’est un personnage qui s’intéressait à de toutes petites choses de l’existence, mais aussi à l’astronomie, à la science, à la musique, à la poésie lyrique, métaphorique et aussi à l’apprentissage de la cuisine, à l’art de la couture. C’est en ça qu’elle est extraordinaire, un modèle, ce n’est pas quelqu’un d’abstrait c’est quelqu’un de totalement sensualiste, pleine de vie, de curiosité, pleine d’émotion avec cette quête spirituelle, pour la connaissance qui est tellement belle et douloureuse. Sor Juana est un personnage étonnant. Lorsqu’on va visiter son couvent à San Jeronimo on est pétrifiés d’admiration. Elle a donc été bien sûr une source d’inspiration pour moi parce qu’on a toutes des modèles féminins qui vous émeuvent, qui vous transportent et qui vous parlent tout au long de la vie. Elle en fait partie.
Vous avez été, entre autres, Pauline… à la plage, Maxine Pascal dans le soap u.s. « Lace », Sissi l’impératrice à la télé ou Dolores Sugar Rose au Crazy Horse. Quel rôle vous a le plus touché dans votre incroyable carrière ?
Je dirais que quelquefois il y a des moments de cinéma qui vous bouleversent où il y a une coïncidence avec soi-même très profonde. Celui qui m’a le plus bouleversée parce que j’ai eu l’impression d’être à la fois ma mère, ma grand-mère, mes ancêtres, ce fut en jouant Sissi l’impératrice. Cette espèce de très grande dignité et de modernité qu’incarnait ce personnage qui était très fou et névrosé aussi mais qui avait une espèce de fougue et de défi à la nature, aux lois et notamment à sa condition de princesse. Cela me touchait beaucoup. Sissi l’impératrice, ce personnage m’a bouleversée, mais ce qu’il y a de merveilleux avec le fait d’être actrice, c’est que l’on est comme une forme de mosaïque faite d’un kaléidoscope, de fragments de femmes, de potentialités et c’est ça qui finit par vous constituer comme une boule de disco à mille facettes qui reflète des rayons qui sont venus d’ailleurs! Projections et éblouissements. Dans « Diva Latina » c’est une peu une suite à Dolorès Sugar Rose, (le personnage que jouait Arielle au Crazy Horse) c’est cette passion que j’ai pour ces figures mexicaines, ces déesses tropicales enchanteresses et mélancoliques que j’ai découvertes lorsque j’étais enfant dans de vieux films au cinéma comme avec Las cantantes de Sevilla, La Lupe (reine de la soul latina), La Negra, Silvia Pinal, Maria Félix, toutes ces merveilleuses créatures de cinéma qui chantent et dansent et sont sous l’emprise des plus grandes passions amoureuses qui ont ce mélange de culture du « pais caliente » très sentimental et électrique, où les corps sont en transe et les cœurs fracassés.
Si vous étiez un pays, seriez-vous le Mexique, la France ou le Glamour-land ?
Hum je préfèrerais le Glamour-land qui serait un mélange du Mexique et de la France. Un vaisseau sur l’océan…
Si vous étiez une phrase de philosophe ?
« Où est donc cet heureux temps où j’étais si malheureuse ? » Je crois que c’est de Diderot mais je ne suis pas sûre. Ah non, Cosima Wagner je me souviens, phrase incroyablement romantique.
Une chanson ?
« Amor-Amor ! »
Vous êtes toujours radieuse et semblez toujours tendre vers le positif. Est-ce par pudeur pour dissimuler une être profond extrêmement sensible ?
Je crois que l’on avance tous masqués, nous tous sommes des êtres sociaux, donc nous avons des systèmes de protection, des masques et jouons des personnages fatalement… Dans cette jungle contemporaine.
Vous tendez à être plutôt pour le glamour à mort ou l’amour à mort ?
L’amour à mort a besoin du glamour à mort !
La prochaine chose que vous achèteriez … un appartement dans le 7e pour une fuite à Varennes ? Décrivez nous votre intérieur…
Comment vous savez ça ? oh la la (rires)
J’ai plusieurs maisons, cela dépend donc des maisons, là j’habite à Paris dans cet hôtel où nous sommes (Le Raphaël) c’est genre vieux manoir gothico-anglais baroque avec un coté Pompadour désuet, c’est très charmant. Au Mexique j’ai une maison plus tropicale à Valle de Bravo (à 160 Km au sud-est de Mexico). À Marrakech, c’est un vieux palais décati extraordinaire d’une beauté fulgurante de poésie avec des arbres centenaires, puis à Tanger c’est une maison inscrite dans la roche qu’a faite pour nous Andrée Putman, très « modern-style », une véritable beauté… et dans le midi une maison à Saint-Paul-de-Vence, ce village ravissant où je me suis mariée (avec BHL) en juin 1993.
Où est votre endroit secret, seraient-ce les jardins de Borda à Cuernavaca ?
…Oui… Comment savez-vous cela? Je l’aime tellement, c’est ma grand-mère qui m’a donné le culte du jardin. J’aime aussi beaucoup le jardin clos du « Moyen-Âge » avec la Dame à la licorne, les jardins très romantiques anglais aussi, capricieux, fantasques. J’aime beaucoup la nature apprivoisée encore plus peut-être…
Donc votre endroit secret serait un jardin ?
Oui un jardin… d’Eden… oh oui.
La seule chose que vous emporteriez avec vous sur une île déserte serait votre cigarette électronique ?
(Rires) Ah oui d’ailleurs elle est là (Arielle nous montre son gros sac à main rouge). Lors d’un récent voyage en avion, le commandant de bord est venu très inquiet, affolé même, me dire que c’était interdit de fumer dans l’avion ! Affolé ! Je l’ai rassuré en écrasant le bout incandescent de ma cigarette électronique sur ma joue ! Tout est rentré dans l’ordre. C’était super drôle.
Donc, vous ne fumez plus du tout de vraies cigarettes… Est-ce pour reculer l’instant de la mort ?
Oh… L’instant de la mort… Je n’y pense pas… J’ai arrêté de fumer mais je crois que je m’y remettrai un jour ! (rires)
J’ai toujours dit que je me droguerai un jour lorsque je serai plus âgée, lorsque cela ne sera plus trop périlleux et que je sentirai que je n’ai plus rien à perdre. On a tout de suite dès notre naissance l’envie de vivre, cet instinct qu’ont les animaux de se protéger contre la mort, comme tout le monde d’ailleurs…malheureusement cela se complique plus tard puisqu’il y a aussi d’autres forces destructrices qui viennent se lover en nous. Il faut essayer de ne pas y succomber. C’est tout le talent de la vie, c’est très difficile je trouve, c’est un combat perpétuel contre ses mauvais démons. On dit d’ailleurs que nous sommes notre pire ennemi, mais c’est une vérité.
La plus belle rencontre de votre vie ?
Ah mais Bernard-Henri bien sûr !
Quelle serait la meilleure drogue pour vous ?
Et bien la drogue de l’éternité !
Vous souhaiteriez être éternelle?
Oui ça serait délicieux de ne jamais en finir, mais en cela il faudrait que les gens que j’aime m’accompagnent bien sûr.
Ne pensez-vous pas que perdre un être cher engendre un autre regard sur la vie ? Une fêlure qui peut aussi parfois rendre plus fort, plus extra-terrestre…
On dit « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Oui, de tout ce qui nous met par terre, nous annihile, nous fracasse, si on en sort théoriquement plus forts, je crois qu’on l’est d’une certaine manière parce que l’on a cette expérience de la douleur supplémentaire mais je ne sais pas à quel point, un jour, toutes ces douleurs ne deviennent pas suffocantes. Je ne sais pas. Le fait de perdre des gens, je crois, nous rend tous inconsolables, on n’est pas plus forts, on est juste plus forts de ne pas mourir avec eux. Mais pas plus fort en soi, on demeure inconsolables.
Parlons musique, quelques adjectifs qualificatifs pour résumer vos 5 albums et bientôt le 6e avec « Diva Latina » qui sort le 17 mai prochain…
« Liberta » en 2000…
C’était l’incarnation de ce que j’ai toujours voulu faire en musique, j’ai un peu posé le « la », pour aller vers une liberta musicale à tout prix malgré la très forte puissance de la demande, ce que veulent les organismes puissants de l’industrie du disque qui ont peur… Bien sûr qui tendent à vous rendre conformiste, lisse. Il faut toujours lutter contre ça et c’est très difficile pour tous les artistes. Mais on y arrive.
« Extase » en 2002 : Une tentation…
« Amor-Amor » en 2004 avec près de 800.000 exemplaires vendus
Oui ce fut un énorme succès avec l’export. C’était une sorte d’hommage à une certaine idée de l’hyper sentimentalité mexicaine, des choses très populaires des standards des années 1920 à 1950.
« C’est si bon » en 2006 …
C’était un cross-over d’un « américan in Paris », ce qu’aiment les américains qui redécouvrent Paris ! Succès ! Cela m’a permis de chanter au mythique Supper Club de Broadway en septembre 2006. C’était « a dream that comes true ! » C’était vraiment très très émouvant !
Le maxi EP « Où tu veux » en 2007 remixé par Tom Snare…
Un free-style, repris pour un des tableaux au Crazy Horse, remixé pour les clubs, qui a très bien marché sur les ondes, je suis entrée une fois dans un supermarché et il le passait, ce qui me fait aussi penser, une autre fois j’étais à New york dans le très chic grand magasin Saks 5th Avenue et il y avait « Amor-Amor » dans tout le magasin, c’était génial, et là, on se dit : « Tiens, incroyable, c’est moi !!! » (rires)
« Glamour à mort » en 2009 avec Philippe Katerine et Gonzales qui vous a amené à vous produire avec votre fabuleux « Live Vidéo Glam Show » à la Cigale où vous avez même repris « The cold song » de Klaus Nomi ?
Ah, Philippe Katerine, Gonzales ! Daven et Philippe Eveno ! Quels artistes ! C’était grand ! Ce qui est beau avec « the cold song » c’est le génie de cette musique : cet être du froid qui sort de la glace et c’est le printemps, voilà la lumière et la chaleur et alors horrifié par toute cette vie, il préfère s’en retourner à la mort en disant « let me freeze to death ! ». Quand on chante c’est paroxystique, c’est vraiment très très fort.
Et enfin votre prochain album « Diva Latina » en mai 2011…
C’est du salsa-swing, des reines des tropiques, avec des standards latinos des années 1980 aux années 2000 parsemés de touches d’électro. Et un rythme qui vous rend fou !
Mais il y a aussi un buzz sur la toile concernant une rumeur de duo avec le rappeur Mokobé du groupe 113 ?
Oui c’est vrai, nous avons fait un duo qui est une reprise de Miriam Makeba « Pata pata », ce morceau de danse génial, où je chante en zoulou, en espagnol et en français. Mokobé, y ajoute son flow de rappeur hyper composé (par lui-même). C’est génial ! Très hot, tendre et amusant. La musique c’est vraiment la rencontre des continents. C’est Ali (Mahdavi) qui a signé le visuel de l’album et qui a fait le clip du 1er single « Porque te vas ». Il est si étonnant ! J’ai de la chance ! J’ai écrit des paroles sur 5 morceaux qui sont des transpositions. Je me suis vraiment très immergée dans la production de la musique, impliquée, co-réalisatrice derrière chaque son.
Qu’écoutez vous comme musique ?
J’écoute énormément de choses, cela va de Shakira à Marin Marais (violiste compositeur français baroque du XVIIIe siècle) de la pop au baroque donc. J’écoute beaucoup de salsa en ce moment, comme Eddie Palmieri, Célia Cruz, le Sextet Quartet. « Diva latina « est un album « muy caliente ! », pour donner envie de danser diaboliquement cet été.
Vous êtes l’incarnation du glamour et du féminin dixit JPG, la successeur de Marlene Dietrich pour YSL, un impertinent lutin pour Françoise Giroud, une sirène enchantée pour Pierre&Gilles. Mais pour vous, qui êtes vous vraiment avant tout ?
Mais je ne me pose pas trop de questions sur moi, j’aime l’idée que les gens perçoivent des choses en moi, parfois me rendent des hommages qui me bouleversent… Je pense que l’on reste tous très énigmatiques à nos propres yeux, il faut être surpris par soi-même, être vivant c’est ça, c’est être aux aguets, être en éveil, ce n’est pas être satisfait, s’endormir dans le confort, ce n’est pas ça vivre ! Vivre c’est l’effervescence ! Le risque, la passion !
Enfin que vous inspire ce poème aztèque ? :
« Nous ne sommes que venus dormir, Nous ne sommes que venus rêver ! Est-il vrai, est-ce possible que nous soyons venus sur la terre pour y vivre ? Ainsi que l’herbe à chaque printemps, nous nous transformons : elle reverdit, elle jette ses bourgeons, tout comme notre cœur. À peine notre corps a-t-il fait quelques fleurs, qu’il s’en retrouve tout flétri… La vie n’est qu’un songe … »
C’est très beau, oh ça me fait penser à Shakespeare, « we are such stuff as dreams are made of » et Calderon de la Barca « Todos son suenos entre suenos » « La vida es sueno », toutes ces forces de la pensée… de la projection, et qu’ont su capter bien sur les aztèques. Vous savez tout le monde est dans son rêve, tout le monde est projeté quotidiennement dans le rêve, c’est une grande partie de la vie d’être dans le rêve. La vie rêvée.
Interview : Cyril Xavier Napolitano
Photographie : Ishi
ARCHIVES DEDICATE 25 – Automne 2011