Après des longues années à officier tantôt à la production des autres, tantôt à la tête du groupe Muscadine, Jonathan Wilson a tenté sa chance en solo et affirme son talent avec un irrésistible Gentle Spirit pétri de sable californien.
On n’exagérera pas en vous disant que Jonathan Wilson pourrait être l’Elliott Smith en 2011. Son folk est boisé, délicat, parfois traversé de grands éclairs psychédéliques… Gentle Spirit est l’un des chefs d’œuvre de cet automne, à écouter sans modération pour se retrouver, en l’espace d’une chanson, au coin d’un feu de bois, ou immergé dans l’eau d’un lagon ou perdu au milieu d’un désert immaculé. Tout en entrelacés mélodiques et dominé par la nature (les titres s’appellent « Desert Raven », « Canyon in the Rain », « Waters Down » ou « Valley of the Silver Moon »), Gentle Spirit invite non seulement à voyager, mais aussi à s’évader, fort de cette rare qualité qui est de construire, minute après minute, une réelle atmosphère. Conversation avec un songwriter et multi instrumentiste littéralement inspiré – sans pourtant souffrir d’une quelconque addiction.
Vous souvenez-vous de vos débuts en musique ?
C’était très tôt… J’avais 3 ou 4 ans quand j’ai commencé la guitare, mais j’étais fasciné par le jeu de mon père, lui-même guitariste. Il avait plusieurs groupes, nul doute que cela m’a beaucoup influencé. Et mon grand-père était pasteur, c’était un preacher man. Pourtant, je me suis lancé dans la musique par mes propres moyens, avec les erreurs qui vont avec. J’ai monté mon premier groupe à l’âge de 12 ans… et ça ne s’est jamais arrêté depuis.
C’était comme une évidence ?
Oui, c’était naturel. J’ai toujours été un grand fan de musique sans trop aimer ni l’école, ni le sport… C’était une voie idéale pour m’échapper du quotidien, explorer autre chose, d’autres cultures du monde. Avec la musique, on apprend beaucoup.
Vous êtes originaire de Charlotte, en Caroline du Nord. Vous avez déjà formé Muscadine avec Benji Hugues lorsque vous décidez de partir vivre en Californie…
Ce n’est plus trop le cas aujourd’hui, mais il y avait un vrai souffle de liberté à Topenga, un petit endroit hippie où j’avais atterri. J’en ai assez vite bougé, je suis passé par Atlanta et New York… et puis je me suis posé à Los Angeles.
Pourquoi sortir ce premier album solo seulement maintenant ?
J’ai passé beaucoup de temps à me perfectionner, à développer mon style, à réfléchir à des projets de chansons. Quelque part, je me préparais comme un athlète avant un championnat ! Pourtant, j’ai été longtemps frustré de ne pas pouvoir offrir au public ce que je souhaitais lui apporter. J’étais frustré de ne pas me sentir prêt. Et un jour, c’est arrivé.
Comment est venu le déclic salvateur ?
Par le calme, tout simplement. Dès le début, je savais que j’allais avoir besoin de temps. Je savais que je ne pouvais rien commencer dans le rush des tournées. Je savais que j’avais besoin de sortir du rythme effréné des concerts, que je devais m’armer de patience pour fabriquer quelque chose de vraiment spécial. J’ai enfin été capable de faire une véritable exploration musicale. Certains sons ont mis du temps à se trouver, à s’assembler, à fonctionner. Ne pas tout faire dans l’urgence, c’était une chance.
La nature californienne, réputée pour être inspiratrice, a-t-elle influencé Gentle Spirit ?
Sans aucun doute. Tout l’état de Californie est magnifique. En fait, l’album a été composé en traversant l’état entier. En allant là où les Beach Boys allaient, en traversant le Mojave Desert et des tas d’autres endroits qui nous permettent de comprendre bien des drames du passé. L’océan, les déserts ou les canyons sont devenus ma maison.
Et du côté artistes, certains vous ont-ils influencé plus que d’autres ?
Il y a Paul Simon, Pink Floyd… Mais je les ai absorbés il y a si longtemps qu’il n’était pas question de les copier bêtement. Je prends l’exemple de Neil Young : ce que j’essaie de reprendre, c’est son esprit, sa sincérité. Cette admiration est comme une flamme qui guide mon travail.
À certains moments, on pourrait même entendre certains accents des Doors… C’est votre côté chamane du désert ?
Un peu ! (rires) Je ne pourrais pas me comparer aux Doors, et encore moins à Jim Morrison, mais il y a peut-être un rapprochement à faire lorsque j’évoque les canyons, des endroits par où ils sont passés. Le mysticisme qu’inspire le désert est incontrôlable, très puissant. Être en symbiose avec la nature ouvre réellement des possibilités artistiques.
Pourtant très ensoleillé, l’album se termine sur une pointe quelque peu mélancolique, celle de « Valley Of The Silver Moon »…
Je l’avais composé il y a longtemps, à San Francisco, à une époque où je jouais sans plus trop de conviction car je ne savais plus ce que je devais faire. La chanson parle du fait que je ne parvenais pas à me connecter à ce qui m’entourait. J’évoque finalement quelque chose de très universel : quand on est fatigué de tout et même de soi, qu’on s’éteint peu à peu… et que le moment de rebondir n’est pas encore arrivé.
Andy Cabic de Vetiver, Chris Robinson des Black Crowe ou Gary Louris des Jayhawks ont participé à cette première aventure solo. Que du beau monde !
À l’origine, ce sont tous des amis qui venaient à la maison pour faire la fête. Avec ces mecs, nous avons fait les 400 coups ! Aujourd’hui, nous avons vieilli, nous sortons tranquillement au resto ou à des concerts. Pour l’album, ça a été très simple : il suffisait de les appeler et de voir quelle chanson pouvait leur plaire. Ce n’était que du plaisir, de leur côté comme du mien. Et ils étaient tous ravis de me filer un coup de main.
Saviez-vous que vous avez un homonyme très connu, un Anglais spécialiste de football ?
Oui, et je trouve ça toujours aussi drôle ! Le foot, comme beaucoup de sports d’ailleurs, ne me passionne pas plus que ça. Je n’ai encore jamais rencontré ce Jonathan Wilson. Peut-être un jour…
Interview : Sophie Rosemont
EXTRAIT DEDICATE 27 – Automne-Hiver 2009