Après deux albums studio, une B.O. et trois Victoires de la Musique, la chanteuse Emilie Simon a eu envie de changer d’air, de fendre sa chrysalide. C’est à New York, terre de toutes les promesses, qu’a eu lieu la mutation. Emilie Simon, fée des machines au répertoire réputé électronica, s’est émancipée de son home studio ; son nouvel album, très organique et presque intégralement chanté en anglais, resplendit de mélodies catchy, d’arrangements pop, de claviers vintage et de textes malicieux.
Emilie, nous t’avions quittée à Paris dans un monde “Végétal” (nom du 2ème album d’Emilie Simon, ndlr) et nous te retrouvons aujourd’hui à NY pour un nouvel opus presque urbain. Que s’est-il passé entre ces deux disques ?
J’ai d’abord fait une pause et pris des vacances (rires) ! Je voulais m’arrêter un peu, mettre la musique de côté pour vivre des expériences, je suis donc partie à NY. J’avais besoin d’une rupture. Là-bas, j’ai remis les choses à plat. Je voulais être stimulée, j’étais en quête de nouvelles énergies, NY répondait parfaitement à cette attente. J’ai commencé à y aller de plus en plus souvent pour la promo de “The Flower Book” (une compilation sortie aux US chez Milan Records et regroupant des titres des deux premiers albums, ainsi que des morceaux tirés de “La Marche de l’Empereur”, ndlr). Petit à petit, à force d’y aller, je me suis rendue compte que j’avais envie d’y rester. A New York, je me sentais particulièrement à l’aise, dans mon élément. J’ai découvert la ville plus en profondeur, je n’avais plus envie d’en partir. J’ai donc décidé de m’installer, tout naturellement.
Tes précédents albums étaient très électronica, avec un travail poussé sur les textures ; le nouvel opus est plus acoustique, direct et pop. Etait-ce une envie de changement, ou bien les chansons l’exigeaient-elles ?
Je crois que c’est venu de l’énergie même des morceaux, des compositions. Sur cet album, je me suis interdit de toucher aux programmations au début du processus d’écriture. L’ordinateur n’est arrivé que plus tard dans l’élaboration des chansons, alors que sur les précédents disques, j’écrivais directement avec les machines, ce qui donnait une place centrale à l’électronique. Cette fois, tout a été composé en piano / voix. Les mélodies ont du coup pris davantage de place, d’importance. Une fois qu’elles étaient écrites, j’ai utilisé l’électronique pour trouver une énergie brute, sans fioriture, afin de traiter les instruments acoustiques, mais sans trop les dénaturer. Je voulais avoir moins de sons que par le passé, des instruments plus bruts et caractéristiques, se suffisant à eux-mêmes.
Comment s’est passée la rencontre avec Mark Plati (réalisateur pour Bashung) et les collaborations avec certains musiciens d’Arcade Fire ?
J’ai rencontré Mark à NY quand il travaillait sur l’album d’un ami commun (Charlie Winston, ndlr). Tout à fait par hasard donc. Quelques mois plus tard, je cherchais quelqu’un pour enregistrer les basses et batteries de l’album. J’ai
pensé à Marc, et en discutant avec lui, nous nous sommes rendus compte que nous avions beaucoup de choses en commun; des références, mais aussi des amis. Pour Kelly Pratt (trompettiste), je l’avais croisé avec les Arcade Fire qui
étaient venus jouer en France. J’ai été voir son concert en formation solo, il a écouté des titres, qu’il a aimé. La collaboration est venue de là. Pour Jeremy Gara, j’enregistrais des claviers à Montréal, il est passé en studio et a proposé de faire quelques titres. Pour Teitur, un auteur compositeur très talentueux qui a co-écrit avec moi “Rocket to the moon”, il était de passage à NY et c’est une amie qui nous a présentés. J’avais besoin de collaborer sur ce disque, d’ouvrir mon univers à d’autres.
Tu as également collaboré avec l’auteur Graham Joyce.
Graham est un écrivain anglais qui écrit des nouvelles fantastiques. Je l’ai rencontré il y a 3 ans sur le Festival du Film Fantastique de Gérardmer. Nous étions tous les deux membres du jury, nous avons donc passé une semaine ensemble et sympathisé. Par la suite, il a spontanément proposé un premier texte, qui est devenu le refrain du morceau “Fools like us” ; j’avais les couplets en français, son texte est arrivé et les mots collaient parfaitement. Tout est parti de là. Nous avons co-écrits plusieurs titres ensemble dans la foulée .
Ton nouvel album a un côté épique, avec des chansons aux constructions complexes, des instruments conquérants (comme les cuivres), et une certaine théâtralité. Etait-ce une démarche délibérée ?
Je n’ai pas pensé en termes de théâtralité. J’ai plutôt imaginé une palette de couleurs, de teintes contrastées, allant du noir et blanc aux couleurs vives, presque flashies. Sur le disque, il n’y a pas de cordes (hormis la basse) et pas de
guitare. Je ne voulais pas produire quelque chose de doux, je souhaitais au contraire retranscrire des sonorités tranchées et éviter les sons décoratifs ; j’ai donc plutôt recherché des instruments forts et marquants et organisé les compositions autour d’un instrument phare par titre, comme les cuivres par exemple – qui évoquent l’énergie, avec un côté très solaire -. Ou encore la chorale d’enfants, pour des tons pastels et lumineux. En contraste avec le reste donc,
avec le noir et le blanc, deux teintes qui sont suggérées par le piano, la basse, et la batterie, récurrents sur tous les titres du disque. Je voulais experimenter autour de l’idée de contrastes.
Peut-on qualifier ton album de “show off” ? Le disque est uptempo, extraverti, voir même séducteur…
C’est en parti dû à l’influence de NY, qui est une ville très dynamique, très contrastée justement et stimulante, où il y a une surenchère constante d’idées, de projets. Tout le monde est là pour avancer, pour s’exprimer ; les gens sont très investis, du coup c’est quelque chose qui est dans l’air. Il y a aussi un côté accueillant dans cette ville, voir doux, étrangement. Mon vécu ici reflète complètement cette dualité. J’ai d’abord habité seule quand je me suis installée,
j’étais donc complètement livrée à moi-même et suis passée par des états émotionnels très intenses. Le disque est le résultat de ces expériences. La ville m’a aidée à être plus extravertie, sans doute, à prendre de l’assurance.
Peux-tu nous donner quelques indices autour du titre de l’album, cette “Big Machine” dont il est question ?
C’est un mystère que je n’ai pas trop envie de dévoiler (rires). Ça peut être beaucoup de choses… Ce qui nous entoure, et la façon dont on se situe par rapport à cela. Nous sommes des maillons de la “Big Machine”, ce grand tout autour duquel on gravite, parfois merveilleux mais aussi très … étrange.
Tu te produis régulièrement sur scène toute seule à travers les Etats-Unis. Quelles sont les réactions auprès d’un public pas forcément acquis à ta cause ?
Très bonnes. J’ai voulu très tôt jouer les nouveaux titres sur scène afin de les tester live, ce que je n’avais jamais pu faire sur les précédents disques. Là encore, c’est une conséquence logique de l’énergie que je ressentais ici pendant l’écriture. Il fallait sortir du cocon créatif avant même que les titres soient terminés. Cela a été une très bonne expérience pour moi. J’ai élaboré un set up solo afin de pouvoir me produire de façon spontanée et libre, sans trop de contingences. Je m’imposais de ne jouer que des titres nouveaux. Ce live contient beaucoup d’éléments électroniques ; c’est une machinerie en mouvement, mais facile à transporter (rires). Et les gens ont été très réceptifs en découvrant les nouvelles chansons. Je pouvais déceler les impressions sur leur visage…
Quelle sera la formule scénique en tournée par la suite ?
Je compte rester sur cette approche une peu brute et directe, mais une partie de l’équipe de l’album sera avec moi sur scène. C’est la continuité d’une aventure, qui respectera l’ossature des titres (basse, batterie, synthés). Ce sera different encore avec le groupe bien sûr ; il y aura davantage d’interactions, un équilibre entre chaque musicien. Seule, je crée le live en temps réel, ce qui laisse transparaître davantage les structures des compositions ; c’est plutôt technique et très synchronisé, je suis un peu une pieuvre au milieu des machines (rires). La tournée de la rentrée sera plus live et pop.
Pour les visuels, tu as fait appel aux graphistes Supakitch et on retrouve la pieuvre, justement…
J’ai en tête cette pieuvre depuis longtemps. Elle représente beaucoup de choses. Il y a plusieurs niveaux de lecture possible, que je préfère ne pas trop divulguer là encore, pour laisser la place à l’imaginaire. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle symbolise en partie l’interaction avec les autres et avec les instruments : un centre très fort, et des choses qui gravitent autour. Les Supaktich sont des artistes de Montpellier que j’ai rencontrés à NY et qui ont très bien réussi à retranscrire visuellement l’album, cette émulation. C’est une belle collaboration : j’ai donné des idées générales, mais ensuite, le but du jeu était de stimuler une débauche d’idées. Ils ont donc apporté leur propre univers. On a créé une ville virtuelle, une sorte de capitale des capitales, qui est un peu la maison de la pieuvre!
La nouvelle Emilie Simon est-elle tentaculaire ?
Oui, exactement ! (rires)
Interview : Philippe Laugier
Photographie : DR
EXTRAIT DEDICATE 21 – Automne 2009