Coiffure hirsute à la bétacarotène, visage blafard, lèvres pourpres, Vivienne Westwood reste à jamais l’éternelle mère des punks, la reine de la provoc’, la poupée en latex qui fait « Non ». Une image bien réductrice. À près de 70 ans, militante activiste et écolo responsable, « Super Westwood » est toujours au cœur de l’action.
« Active resistance against propaganda » — A.R — scande à répétition un badge révolutionnaire à l’effigie de Rembrandt qu’arbore désormais à chaque interview la créatrice hétérodoxe. Avec en toile de fond, un programme pro-éthique, « Manifesto A.R ». « Où que vous alliez — dans les galeries, au musée, au cinéma —, les gens font de la propagande et appellent ça de l’art. L’art, le vrai, a été kidnappé, kidnappé par le business. Rien ne s’y passe. Tout n’est qu’auto-promotion. » Et de préconiser à chaque membre de la confrérie A.R une ordonnance culturelle?: « Lire un livre plutôt que de feuilleter un magazine, se rendre dans une galerie d’art plutôt que de regarder la télé, aller au théâtre plutôt qu’au cinéma… »
Tandis qu’elle souhaite ouvrir le débat sur la culture et les arts, pointer du doigt les déviances du consumérisme et défendre les plaisirs de l’hérésie, Vivienne Westwood s’engage depuis quelques temps déjà pour la planète en perdition. À coups de slogans politiques ésotériques, elle prophétise, dans une vidéo alarmiste?aux relents apocalyptiques, la venue du chaos climatique?: « Il faut?: 1°)?Stopper la production d’armes nucléaires, 2°) Sauver les forêts, 3°) Construire une centrale thermonucléaire dans le désert qui fournirait l’électricité à toute la planète »… Vaste programme — Hors propos?? Au moins ouvre-t-elle la bouche pour dire quelque chose, quand tant d’autres se terrent derrière leur notoriété. « Je n’ai jamais voulu être styliste. Je hais ce métier depuis quinze ans, mais il m’a donné une voix pour m’exprimer. » Elles sont quelques unes, consciences de la mode comme Diane Von Furstenberg, Agnès B. ou Stella Mc Cartney, à vouloir sortir du champ étriqué de la mode pour imposer leurs convictions. Elles sont quelques unes aussi — Miuccia Prada, Isabel Marant — à déclarer ouvertement leur aversion pour une industrie de la mode conciliant difficilement les forces contradictoires de l’art et du commerce?: « Bien sûr, penseront-ils, que fait-elle?? Elle vend une collection de vêtements, alors comment peut-elle être contre la consommation?? »?Et de poursuivre?: « Je me sens mal à l’aise quand il s’agit de vendre mes vêtements. Mais si vous avez les moyens de les acheter, alors allez-y. N’en achetez pas trop, c’est tout. »
Son but?? « Comprendre le monde dans lequel elle vit ». Son paradoxe?: « Etre en désaccord avec tout ce qu’elle a pu dire auparavant. » Aussi ne lui parlez plus de punk culture. L’époque a changé et les slogans sur ses catalyst-shirts sont délavés. Il semblerait pourtant que l’on n’en ait jamais assez de ressasser le conte de fée, quand Vivienne Westwood, la jeune institutrice des quartiers ouvriers, épouse d’un gérant de salle de danse, rencontre Malcom Mc Laren, le futur théoricien du rock dur.
À la recherche de nouvelles formes d’expressions, ils se liguent contre le mouvement hippie et déclarent la guerre aux conceptions bourgeoises. Acquéreurs de la boutique « Paradise Garage » au 430 King’s Road, en 1970, le couple « anti establishment » vogue d’abord sur la tendance nostalgique des Teddy Boys, avant de se trouver une clientèle chez les rockers et autres mouvements underground. Rebaptisée « Too Fast to Live, too Young to Die » en 1972, la boutique propose des ensembles en cuir d’allure martiale, des costumes africains et des T-shirts imprimés de slogans pornographiques qui leur valurent des démêlés avec la justice. En réaction, ils rebaptisent la boutique « Sex », en 1974, poussant le jeu de la provocation jusqu\’à la jubilation. « Il lui saisit les seins et la colla contre le mur » scande un T-shirt fétichiste, best-seller de la collection. Vivienne, porte-parole du mauvais goût, s’exhibe alors en combinaison latex rouge SM, en mini-kilt et lourdes bottes à lacets tandis que Malcom, T-shirt troué décoré de chaînes et de cadenas, s\’en va prendre en main la destinée des Sex Pistols.
La première apparition publique de Sid Vicious & Co, à l’occasion de la réouverture de la boutique, sous le nom « Seditionaries », consacre la naissance du mouvement punk. « Je ne me voyais pas encore comme une créatrice de mode. Nous cherchions des motifs de rébellion pour nous opposer à l’establishment. Le résultat c\’est le mouvement punk. » se souvient-elle. « On se mit alors à choisir ses vêtements non plus selon les critères d’une mode dominante mais selon ceux que dictait le sentiment d’appartenance à un groupe politique ou social déterminé. »
Au début des années 80, tandis que la sous-culture punk, victime de son succès commercial, se vide de sa substance conceptuelle, le couple promoteur de la génération « fuck off » change une dernière fois l\’identité de sa boutique, avant de se séparer en 1984. À World\’s End, l\’aiguille de l\’horloge tourne à l\’envers et les tenues des hors-la-loi, des indiens et des pirates — dont l\’esthétisme trouve un écho immédiat dans le mouvement néo-romantique naissant — jonchent le plancher en pente. Eternelle nostalgique, la couturière autodidacte puise son inspiration dans les courants de l\’histoire pour en extraire des collections subversives teintées d\’humour et d\’excentricité britannique. « En interrogeant le passé, nous sommes plus à même de comprendre le présent » renchérit-t-elle. Son premier défilé londonien « Romantics of the High Sea » (1981), entré depuis dans les collections du Victoria & Albert Museum, pose les bases de son style inimitable, entre préciosité et fantaisie chamarrée. Deux défilés et quelques ovations plus tard, on la retrouve sur le calendrier des défilés parisiens.
En 1984, tandis que le look conquérant des yuppies envahit les podiums, elle féminise à l\’extrême sa silhouette, attirant les regards sur les attributs rembourrés de mannequins juchés sur des chaussures à semelles compensées (la chute de Naomie Campbell n\’en est que plus vertigineuse…) En 1986, après avoir introduit les dessous en dessus, elle lance la « mini-crini », entre mini-jupe et crinoline. En 1987, elle fait du corset un vêtement du quotidien. En 1990, lors de sa première collection pour hommes, « Cut & Slash », elle s’efforce d’érotiser leur allure par le truchement de quelques twin-set à perles et culottes bouffantes de coquets du XVIIIe siècle, son siècle de prédilection. En 1994, dans « Erotic Zones », elle dévoile sa version du « cul-de-Paris » avant de jouer l’année suivante avec le répertoire de la cocotte demi-mondaine : tournures, guêpières, « cages à fesses », perruques bouclées ; les références aux courtisanes, au marquis de Sade, troublent un peu plus l\’ordre routinier du prêt-à-porter par un permanent appel au désordre.
En 1997, elle s\’attaque au tartan et au costume traditionnel des Ecossais : « Dans des tweeds classiques ou tartans, Vivienne Westwood taille des vestes presque aussi provocantes qu\’une tenue sadomasochiste. Á l\’inverse, tout ce qui déconcerte est servi par le raffinement. » Qu\’elle verse dans le délire fin de siècle ou la décadence rococo, « elle évite le drame de la reconstitution historique et du costumier qui guette le couturier amoureux du passé« , conjuguant astuces de coupe et savoir-faire technique.
Des audaces qui lui vaudront l’honneur de se faire nommer professeur honoraire à l’Académie des Arts Appliqués de Vienne puis, en 1992, « Officier de l’Empire Britannique » par la reine Elizabeth II. Quant à ses initiatives, lancées souvent sans grands moyens financiers, elles vont se révéler stratégiques. Elle est en effet depuis ce jour toujours restée indépendante. « Je n’ai jamais eu quelqu’un pour me dire ce que j’avais à faire, je n’ai jamais travaillé avec un financier qui m’ait dit?: vous devez vendre ça, vous devez vendre ci. » Elle a pourtant dû céder aux licences et lignes accessoires pour renflouer les caisses souvent vides de sa maison, mais tant que l’intention est la bonne… « L’art et la mode prônent l’éphémère mais pour durer, il faut être vrai et pur. »
Texte : Marlene Van De Castele
Photographie : Christian Chambenoit, Paolo Pellegrin
Photographe Sol Sanchez assistée de Hanna Bluethmann, Réalisation Yoko Miyake assistée de Julie Jobson et James V.Thomas, Maquillage Akiko Sakamoto ℅ Airport, Coiffure Marion Année ℅ Airport, Mannequins Svetlana Mukhina ℅ Marilyn et Svetlana ℅ Game, Remerciements au Upper East Studio.
EXTRAIT DEDICATE 24 – Automne 2010