Il y a quarante ans, René Dumont, par ces propos alarmistes, exposait l’écologie à l’ironie des féodaux de la société de consommation. Les turbulences climatiques lui ont donné raison et n’ont cessé de le réactiver, pour venir subrepticement, comme une mauvaise herbe qui aurait soudain des vertus médicinales, envahir les allées du pouvoir.
Désormais, impossible de l’ignorer, ce sauvetage revendiqué dans le sillage de Nicolas Hulot fut une sorte de sésame particulièrement choyé lors des dernières élections présidentielles pour épargner à tout prétendant au trône une déconvenue électorale.
Si les écologistes se préoccupent de notre environnement, en scrutant l’état de la planète, les linguistiques se préoccupent de la disparition des langues qui est souvent liée aux incidences environnementales et humaines. La langue eyak parlée au sud de l’Alaska vient de s’éteindre avec la disparition de la dernière locutrice, Marie Smith Jones en janvier dernier. Signe aussi alarmant que la mort des espèces. Chaque année 25 langues meurent. Il y a environ aujourd’hui 5000 langues dans le monde, les linguistes estiment qu’à la fin du XXI ème siècle, il ne devrait en rester que 2500. Si elles ne sont pas des organismes vivants, elles sont cependant pourvoyeuses de vie, comme l’écrit si justement le linguiste Claude Hagège, par la vitalité de leurs locuteurs à la propager au-delà de leur lieu d’origine.
Une langue meurt avec la disparition d’un groupe humain, mais aussi par une assimilation culturelle et économique. Comme dans la nature, nous avons des langues dominantes prédatrices et des langues dominées. L’éradication d’une langue peut-être aussi liée au statut même des locuteurs. En Afrique, les sociétés de chasseurs-cueilleurs, comme les Kwegu du Sud-ouest de l’Ethiopie, ont abandonné la pratique de leur langue en intégrant la vie d’agriculteurs sédentaires. Lors des conquêtes coloniales, l’espagnol, l’anglais, mais aussi le français, pour ne citer que quelques-unes, ont été des langues hégémoniques, et ont assis leur impérialisme sur des territoires où le parler local constituait une entrave à l’unité coloniale. Ce linguicide étatique s’est accompagné souvent d’un remembrement des modes de vie ethniques, fragilisant les peuples colonisés et mettant en péril leur langue vernaculaire. Les migrations forcées ou volontaires, en éloignant les locuteurs de leur lieu identitaire, ont aussi favorisé le déclin et la disparition de leur langue. Ce fut le cas en Amérique pour les Iroquois, comme dans la Russie, soviétique lors de la création des fermes collectives. Parfois même, les puissances coloniales ont privilégié certaines langues locales afin de mieux assurer une unité linguistique. Ainsi lors de l’évangélisation de l’Amérique latine au XVI ème, les missionnaires ont promu le quetchua au Pérou, éradiquant ainsi le puruhu_, le ka_ari et le kul’i.
L’anglophonie et la francophonie sont aujourd’hui de vivants exemples de ce linguicide organisé. Et cette uniformisation linguistique s’appa-rente à la sélection des espèces animales et végétales orchestrées par certaines sociétés multinationales qui veulent imposer à la planète leur hégémonie grainetière. Cependant s’il existe des militants anti OGM et anti-clonage, les langues ont aussi leurs facteurs de rési-stance. La forte identité d’une ethnie contribue bien souvent au regain linguistique d’une langue menacée, comme c’est le cas chez les Aborigènes et les Bretons.
Notre Babel perd chaque jour quelques pierres. Il faut sauvegarder ce patrimoine linguistique sur le modèle du conservatoire botanique de Brest qui, depuis 1976, est le premier établissement au monde entièrement consacré aux sauvetages des plantes endanger et à leur réimplantation dans leur milieu d’origine, les langues aussi peuvent renaître.
Texte : Alain Le Beuze
Illustration : Nectar Graphique / Agence Valérie Oualid
Extrait DEDICATE 16 – Printemps 2008