En 2007, † ressuscitait la French Touch de ses cendres. Depuis, le nouvel album de Justice était attendu comme le Messie, suscitant les rumeurs les plus improbables et les espoirs les plus fous. Le voici enfin. Gaspard Augé et Xavier de Rosnay nous livrent aujourd’hui les secrets de leur majestueux Audio Video Disco.
Tout d’abord, pourquoi avoir choisi un titre en latin ?
Xavier : Parce que c’est assez classe, et que ces trois mots, Audio Video Disco, existent dans toutes les langues. Le chanter sans simuler un accent anglais, c’est assez beau !
Gaspard : Nous aimons particulièrement ce qu’il signifie : « J’entends, je vois, j’apprends ».
Ce qui est assez humble de votre part, contre toute attente…
Xavier : Cela vient aussi du fait que nous sommes graphistes de métier et que nous avons commencé à faire de la musique il n’y a pas si longtemps que cela, en 2003. Nous sommes en constant apprentissage : « j’entends, je vois, j’apprends », c’est un peu notre vie de tous les jours. Et puis, notre musique est si peu humble qu’il faut un peu la contrebalancer d’une manière ou d’une autre !
Gaspard : Notre musique est avant tout empirique. Nous ne sommes pas très instinctifs, nous préférons réfléchir sur la manière dont nous faisons de la musique, qui est aussi inspirée par des images, des films…
Est-ce pour cette raison que vous avez passé autant de temps sur Audio Video Disco ?
Gaspard : Nous avons en effet travaillé pendant un an et trois mois, de 14 heures à 5 heures du matin !
Xavier : Nous en avions besoin. Audio Video Disco s’est fait de manière très minutieuse, même s’il sonne finalement de manière abrupte. Cela prend toute une vie de maîtriser les rouages d’un métier et nous ne sommes pas pressés de les connaître ! Notre objectif est de continuer à faire les choses de la manière la plus naïve possible.
D’où cette spontanéité qui, malgré le fait que chaque seconde ait été longuement étudiée, s’entend tout au long du disque ?
Xavier : Il a été produit de manière super sèche pour arriver à ce résultat qui a l’air d’un premier jet. L’électro est la musique la moins spontanée du monde, c’était important de lui donner un aspect instantané et pas trop travaillé…. même si ça l’est énormément ! Pour réduire l’écart entre la musique et celui qui l’écoute, il faut que la musique sonne comme le lieu dans lequel elle est enregistrée et nous enregistrons encore dans une cave.
Gaspard : Connaître trop bien les ficelles, cela enlève de la magie. Et savoir qu’un accord se marie bien avec autre accord, cela perd tout intérêt. Nous veillons à ne pas perdre ce qui fait l’essence de la musique : l’émotionnel et la surprise.
Quand on écoute « Horsepower », le premier titre de l’album, on ne peut pas s’empêcher de penser que cela aurait été un parfait générique de manga…
Xavier : Nous allons te divulguer une information encore jamais dévoilée : le nom de travail de « Horsepower » était « Cobra » ! Ce dessin animé avait vraiment quelque chose. Nous avons regardé récemment Ken le Survivant, qui était super cool à l’époque, nous nous sommes rendu compte que c’était très mal fait. Alors que trente ans plus tard, Cobra reste un chef d’œuvre : les musiques sont géniales, les histoires sont intéressantes… Et il y a beaucoup de références à la France. Par exemple, pour trouver une carte de trésors, ils jouent « Initials BB » de Gainsbourg sur un clavier qui fait de la lumière !
Gaspard : Quant au personnage de Cobra, il était inspiré par Belmondo, d’après Le Magnifique…
Sur un titre comme « Brianvision », l’influence de Queen ne peut que sauter aux oreilles. Le clin d’œil était volontaire ?
Xavier : À l’origine, « Brianvision » était un morceau de disco hyper rapide qui ne nous procurait pas entière satisfaction. Nous l’avons donc ralenti et nous avons remplacé ses thèmes de synthés par des sons de guitares que nous avons fait sonner à la Brian May… le talent en moins ! C’est un détail infime du morceau, mais assez important pour que nous lui donnions ce nom en guise d’hommage.
Gaspard : Nos hommages sont souvent discrets, sauf quand, cela nous le comprenons après coup, comme « Audio Video Disco » qui sonne comme un morceau de Yellow Magic Orchestra. Ou alors c’est absolument volontaire : « Ohio » est aussi le nom d’un morceau de Crosby, Stills, Nash & Young mais chez nous, c’est surtout un hommage à « Orléans » de David Crosby.
Vos hommages ne semblent pas se soucier des modes…
Xavier : Si nous avons aimé quelque chose à une époque, ça reste valide pour l’éternité : amour d’un jour, amour toujours ! Il ne faut jamais renier quelque chose qu’on a sincèrement aimé. Nous sommes toujours honnêtes dans nos influences, qu’elles soient considérées comme cools ou pas.
Mais si vous utilisiez dans votre album un truc ringard, genre Lionel Richie, tout le monde trouvera ça génial, non ?
Xavier : Ca n’a pas toujours été le cas ! En 2004, nous nous sommes retrouvés dans un festival d’électro minimale en Allemagne, à jouer entre Sascha Funke et Jennifer Cardini. Pendant plus d’une heure, ça fonctionne parfaitement. Enthousiastes, nous passons un morceau de Rage Against the Machine et là, les gens s’arrêtent de danser et nous jettent des bouteilles. Nous décidons alors de faire une pirouette en mettant Lionel Richie… et il a fallu quitter la scène avant la fin de la chanson tellement nous nous faisions huer et siffler ! Il ne faut pas aller contre sa nature… et donc se préparer à recevoir des canettes de bières et quelques glaviots.
A ce propos, vous êtes restés de marbre malgré la polémique qui avait entouré le clip de « Stress » signé par Romain Gavras. Les chiens aboient, la caravane passe ?
Xavier : Au moment où est sorti le clip de « Stress », nous savions que ça allait être problématique. Nous avions donc choisi le morceau le plus violent du disque – encore dans cette idée de single anti-single. Quoi de plus appropriée qu’une vidéo ultra violente ? C’était un parti pris uniquement esthétique. Il y a eu cette petite polémique de trois semaines, orchestrée par des gens qui voulaient faire parler d’eux, comme le FN, qui nous a menacé de procès. Outre cet événement, « Stress » reste l’une de nos vidéos favorites, qui reste poignante à regarder, et Romain Gavras a gagné plein de trophées.
Audio Video Disco s’avère être un album plus aéré que †, avec plus de respirations…
Xavier : C’est vrai, nous avons débarrassé notre musique de ce qui était trop agressif. Il y a plus d’espace dans le disque car les morceaux ne sont complets que dans les 40 dernières secondes et démarrent toujours de manière un peu spartiate. C’est parfois déroutant, mais nous souhaitons nous encourager, l’auditeur par la même occasion, pour aller au bout du titre… jusqu’au feu d’artifice !
Ne serait-ce pas le disque le plus rock de tout ce que vous avez fait jusqu’ici ?
Xavier : Nous n’avons pas l’impression de faire du rock’n’roll quand nous faisons de la musique. Il suffit de coller une image ou une ambiance un peu rock sur un disque pour en changer complètement la perception. Ce que je trouve d’ailleurs intéressant ! Mais nous avons du mal à définir l’album pour le moment, nous n’avons pas assez pris de distance… Ce que nous faisons, c’est juste de la pop de 2011.
Lorsque la pop est un type de musique inclassable, entre rock, disco et électro, n’est-ce pas trop risqué ?
Gaspard : Le risque ne nous fait pas peur et nous aimons tout ce qui est épique. Si pour parvenir à nos fins, nous devons faire un solo de sept minutes, nous le faisons !
Xavier : Ce qui est triste, c’est qu’un morceau efficace doit être soit un morceau radiogénique de trois minutes 20 avec couplets-refrain, soit un morceau club qui commence systématiquement par deux minutes de beat entre 120 et 125 bpm. C’est beaucoup trop contraignant ! Ça nous rassure de nous dire que nous pouvons écrire des titres efficaces sans utiliser ces grosses ficelles. Pourtant, nous ne nous soucions pas de leur potentiel radiogénique ou clubbing. Nous n’avons aucune idée de ce qu’est un hit. Et cela ne sert à rien de courir après le tube, d’autant que nous ne pouvons pas nous mettre à la place du public.
Lorsqu’on regarde le clip d’« Audio Video Disco », on remarque un certain sens de l’humour… Le vôtre ?
Xavier : C’est vrai qu’il y a des moments crypto-gays, comme lorsque Gaspard m’offre le chien pour mon anniversaire ! (rires) Le chien, c’est surtout pour montrer le temps qui passe, le clip étant un making-of rêvé de notre album. En fait, nous ne nous sommes jamais trouvés drôles, mais nous restons décontractés par rapport à notre image. Quand nous avions fait un film sur notre tournée (A Cross The Universe, 2008, ndlr) le premier postulat était de se dire : n’essayons pas de passer pour les mecs les plus cools du monde. Montrons ce qui est marrant, même à nos dépens !
Justice just want to have fun – avec une pointe d’auto-dérision ?
Xavier : Quand c’est nécessaire, oui. Tout cela n’est pas bien sérieux, n’est-ce pas ? C’est juste de la musique et la musique c’est avant tout du fun. Nous n’avons jamais acheté des disques pour une autre raison que celle de passer un bon moment. Aujourd’hui, cela n’a pas changé.
www.myspace.com/etjusticepourtous
Interview : Sophie Rosemont
Photographie : Uri Auerbach & Jean-Baptiste Mondino
EXTRAIT DEDICATE 27 – Automne-Hiver 20011/2012