Depuis que les groupes anti-folk ont pointé leur barbe jusque dans les majors, on est revenu à un son dru, malpropre et foutraque, vite-fait estampillé vintage et censé faire authentique – pas sûr qu’une guitare soit plus authentique qu’une TB303, mais passons.
C’est vrai qu’au bout de vingt ans de techno, les musiques électroniques peinent à dépasser le hic & nunc du kick hédoniste, et une nouvelle génération ne voit plus vraiment MIDI à leur porte. Retour des guitares donc, qu’un certain marketing rejoint en recyclant par ailleurs la rebellitude de salon sur les panneaux 4X3. Cohabitation des différents courants, jusqu’à ce qu’un nouveau courant (oui nouveau, vraiment nouveau, pas un autre revival) surgisse un été d’un collectif autonome et hors-circuit.
On voit ici une esthétique de crise, crise (des Majors) dans la crise (des banques) qui rejoint un courant contestataire de réappropriation citoyenne de la parole, un réseau alternatif qui s’étend hors des lignes officielles. Parmi toutes les initiatives et les créations, les motivations varient, de la reproduction des modèles de production existants à son profit à la recherche de nouvelles voies.
Dans le glissement progressif des industries de la musique vers un système encore indéfini, les artistes réfléchissent à des perspectives différentes pour simplement se faire entendre. Cela rejoint quelques fois des tentatives sincères de changer le monde, ou recoupe l’ambition d’autres pour déboulonner les figures déjà en place.
La technologie brouille toutes les notions. Le laptop qui sert à composer permet aussi d’enregistrer, diffuser et vendre ses productions. L’auto-production a quitté les marges, et des cas comme Yael Naim ne sont pas isolés, même dans le chanson française mainstream. Les Majors de par leur taille, leur puissance de feu et leur inertie, ne représentent souvent plus que la perspective de cash immédiat.
Pourtant les nouveaux groupes se rendent compte qu’ils cèdent la propriété de leurs oeuvres contre une avance qui s’apparente au final à un crédit. Comme si un employeur proposait de payer immédiatement une grosse somme fixe, contre un job à la commission. Les labels profitent aussi de la diffusion en mp3 pour découvrir et soutenir les nouveaux artistes, lorsque les Majors s’enferment dans une stratégie de contrôle des produits où toutes les étapes, du casting à la promotion du disque sont rentabilisées en direct-à-la-télé.
Dans le passage à la dématérialisation, le laptop est la planche de salut tout en créant l’illusion de la facilité. Car si les outils deviennent accessibles (les plugins reproduisent des consoles mythiques des sixties et des instruments rares), entre disposer des moyens et les maîtriser, il y a des heures de prises de tête et des litres de sueurs froides. Composer, arranger, enregistrer, mixer, promouvoir, diffuser, vendre, monter des tournées… C’était déjà le credo DIY des anarcho-punks de Crass en 1978, dont Jeffrey Lewis, figure majeure de l’anti-folk du Lower East Side, a repris “12 Songs” en 2007.
Depuis les rééditions redécouvrent aussi les privates press folk et funk des années 70’s, tirages limités à compte d’auteur, dans une filiation indépendante qui dépassent les générations et les genres. En 2005 déjà, le disque du Maria Schneider Jazz Orchestra entièrement financé par souscriptions sous ArtistShare recevait un Grammy. Maintenant distribuée par Because, la pop sucrée de Fred Viola se décline d’abord dans des petits clips flash sur sa webTV perso.
Les strategies innovantes, les idées DIY qui évitent les réseaux traditionnels sont reprises par les plus grosses ventes en rupture avec les Majors qui les ont fait connaître, de Prince à Patricia Kaas, en passant par Madonna et Radiohead.
L’Ere Digitale continue de remettre tout à plat en réduisant les problèmes à une suite égale de 0 et de 1. Reste à chacun de trouver son propre équilibre, de la success story à la Artic Monkeys au geste gratuity et participatif sur Creative Commons.
Texte : Brifo
Illustration: Benjamin Savignac
Extrait DEDICATE 20 – Printemps/Été 2009