Après un premier album déjà prometteur et dix ans d’absence chaotique, le chanteur américain revient avec un second album qui sera, sans nul doute possible, celui de la consécration. Rencontre chaleureuse et authentique, à l’image de la musique de Cody ChesnuTT.
En écoutant des titres comme « Where Is All The Money Going » ou « Everybody’s Brother », une évidence s’impose : Landing On A Hundred est un classique instantané, de la trempe des plus belles compositions soul de la seconde moitié du XXe siècle. Certes, The Headphone Masterpiece nous introduisait avec panache la soul de Cody Chesnutt. C’était en 2002, et même si les Roots contribuèrent à le faire connaître en reprenant l’un de ses morceaux, la mise en condition d’un second opus fut longue et haletante. Une fois son combat personnel mené et ses démons mis au tapis, Cody ChesnuTT s’est attelé à Landing On A Hundred.
On le rencontre dans un bar ultra cosy du centre de Paris, dans la semi-obscurité d’un salon tamisé. L’homme, pas du genre mondain à se pavaner en public, apprécie les têtes à têtes. La veille, il s’est produit au Festival We Love Green, devant un parterre de parisiens bobos transportés par sa musique cuivrée. Perpétuellement entre deux avions, deux interviews ou deux concerts, il semble pourtant plus serein que jamais. Confidences sur canapé.
Tout d’abord, comment allez-vous ?
À merveille. Le concert d’hier s’est bien passé, les musiciens français qui m’ont accompagné avaient parfaitement compris l’esprit de mes chansons et moi-même je me suis senti très à l’aise avec eux. Le mouvement perpétuel fait partie de ma vie…
L’adaptabilité, c’est une qualité indispensable pour un artiste ?
Et comment ! Le propre de l’humanité est de s’adapter à son environnement et j’ai dû naître avec, mais il est vrai que, devenu adulte, on apprend à faire plus d’efforts. Ces quinze dernières années, j’ai appris à m’impliquer en tant qu’artiste pour que ça fonctionne, aussi bien seul qu’accompagné.
Justement, où en êtes-vous avec votre ancien groupe, The Crosswalks ? Pourriez-vous délaisser votre carrière solo pour retourner en collectif ?
J’aime les deux, vraiment. Quelqu’un d’autre qui apporte des idées ou des concepts auxquels je n’aurais même pas pensé, ça me plaît. Surtout quand ça se conjugue parfaitement avec la chanson que j’ai écrite. De plus, je ne suis pas un multi-instrumentiste parfaitement accompli et je ne peux pas toujours me contenter de la guitare ou du piano. Il me faut toujours plusieurs possibilités à exploiter et être entouré d’artistes qui sont devenus des amis me semble aussi très épanouissant. Cela étant dit, je suis heureux pour l’instant en solo et je ne compte pas tout chambouler dans deux mois.
Quelle a été votre éducation instrumentale ?
J’ai commencé par la batterie. Puis je me suis mis au piano en autodidacte et j’en suis venu à la guitare seulement à mes vingt ans… Donc assez tard. Mais j’étais tellement frustré de ne pas pouvoir communiquer toutes mes idées ! Et puis c’est simple, la guitare. On l’emporte partout avec soi, on peut en jouer durant les longues heures d’attente à l’aéroport. C’est pratique ! (rires) Aujourd’hui, j’écris et je compose beaucoup à la guitare.
Landing On A Hundred est un album soul, mais pas seulement. On peut y entendre beaucoup d’influence, du rock’n’roll au rythm’n’blues…
Merci ! J’ai grandi en écoutant une large gamme de genres musicaux. La pop, le classique, le funk, le rythm’n’blues… D’après moi, rien ne les sépare réellement. Ces différents sons, je les ai réinterprétés à ma manière en trouvant un moyen de me les réapproprier dans mon propre processus créatif.
Un artiste s’est-il particulièrement détaché de la constellation musicale qui vous entourait ?
Sans hésiter, Michael Jackson. Un jour, j’ai entendu Off the Wall, et c’est là que j’ai vraiment vu la lumière. Ses gants brillants comme ceux d’un super héros… Je ne m’en suis pas remis. Je connaissais les Jackson 5, je les appréciais, mais Off the Wall a révolutionné la pop. J’ai beaucoup appris de Michael Jackson, il avait une telle palette sonore ! Après les scandales, la presse et tout le reste, les gens oublient un peu trop facilement ce qu’il représentait dans le monde : une étoile dans le firmament. Sa mort a été une véritable perte.
Quand avez-vous réalisé que vous étiez un musicien… Un vrai ?
Au début de ma vingtaine, je pense. Jouer de la musique, c’était ma passion, mais je devais aller à l’université. Mon père voulait que l’on aille à l’école, que l’on reçoive une bonne éducation, etc. Mais je ne pouvais pas me concentrer sur le business que l’on m’enseignait. J’avais un feu qui brûlait en moi, celui de l’art. J’ai donc décidé de prendre un autre chemin
Votre père n’a pas dû apprécier…
Oh non, il n’était franchement pas content au début. Mais l’un des plus grands moments de ma carrière a été lorsque mon père m’a dit que j’avais fait le bon choix et qu’il est venu s’excuser de ne pas m’avoir soutenu plus tôt. C’était encore mieux qu’un Grammy Award ! Une véritable libération. J’ai toujours voulu que mes parents soient fiers de ce que je faisais…. Quand mon père m’a donné sa bénédiction, il n’y avait plus moyen de faire machine arrière. Depuis, je m’accroche à ma musique comme jamais !
Vous êtes originaire d’Atlanta, Georgie. Puis vous avez vécu à Los Angeles… Pourquoi avoir décidé de vous installer en Floride ?
Parce que j’ai rencontré ma femme là-bas, en 1987… C’est sa ville natale et puis nous avons eu un enfant. Alors je suis venu de Californie. C’est dans la campagne au nord de Jacksonville, mais c’est une capitale d’un peu moins de 400 000 âmes, c’est assez actif, il y a des universités, des institutions gouvernementales…
Etait-ce aussi une manière de vous éloigner des tentations de Los Angeles ?
Un peu, oui… (sourire) Il faut essayer à tout prix de garder la tête froide et de mener une vie normale. Là où nous habitons, nous sommes entourés d’arbres. Sortir et se retrouver au contact de la nature, c’est très facile ! Je peux marcher jusqu’à la verdure, m’asseoir dans le silence, m’ouvrir à la méditation… Et laisser l’histoire venir à moi.
Vous avez enregistré ce nouvel album dans les mythiques Royal Studios de Memphis. Comment c’était ?
Génial ! C’est un peu le fruit du hasard. Je voulais absolument enregistrer analogiquement l’album et je cherchais un studio abordable. Et les Royals Studios sont à un bien meilleur prix que ceux de New York, Atlanta ou Los Angeles. Puis nous nous sommes rendus compte que c’était là où Al Green avait enregistré ses classiques et bien d’autres artistes encore comme Ike & Tina Turner. Non seulement Memphis est un endroit très soul (la Stax y a été fondée, ndlr), mais c’est aussi la ville où Martin Luther King a été assassiné. C’était comme une sorte de pélerinage… Avec mes musiciens, nous étions tous très inspirés. J’ai compris qu’il fallait faire quelque chose de spécial, qui ait du sens. Le fantôme de Martin Luther King nous en a sans doute insufflé la force. Pendant l’enregistrement, les vibrations étaient très fortes…
Que souhaitiez-vous pour Landing On A Hundred ?
Que les gens le prennent pour ce qu’il est, qu’ils ne s’amusent pas à le comparer à d’autres morceaux légendaires. Qu’ils le saisissent à l’état brut ! Car il n’est pas dans la même veine rétro et lo-fi que d’autres albums de soul actuels. J’espère qu’il fera partie du quotidien des gens, dans leur salon, en voiture, dans la cuisine, en famille…
À ce propos, vos enfants l’ont-ils apprécié ?
Ma fille est encore petite, mais mon fils de neuf ans, avec un visage impassible, m’a dit : « c’est un album extraordinaire, Papa ». C’est dingue l’effet que ça m’a fait, je n’oublierai jamais cette phrase. Il est né quand j’étais prêt pour vivre ma vie d’artiste, à entamer la route. Il incarne la chanson indirectement. Quand je chante : « I found what I needed, nothing more just what I needed, the pure heart of a baby », ce cœur pur, c’est lui. Dans cet album, j’ai choisi mes mots pour que mes enfants puissent écouter chaque morceau sans être choqués ou agressés.
Votre famille vous permet-elle de garder les pieds sur terre ?
Ce que je suis à la maison, je veux aussi l’être sur scène et inversement. J’aime ma vie de famille et je parviens à maintenir son équilibre. La célébrité, je la prends comme elle arrive. Chaque chose en son temps… Je ne veux pas me laisser embrumer par trop d’attentions et je veux rester focalisé sur ce qui compte : les rapports humains. Ne pas me placer au-dessus de ce que certains appellent les petites gens mais plutôt amener les gens à mon niveau. Nous sommes tous des êtres humains, avec nos sentiments, personne n’est surnaturel. Surtout pas moi !
Interview : Sophie Rosemont
Photographie : John Ferguson & Yulya Shadrinsky
EXTRAIT DEDICATE 29 – Automne-Hiver 2012/2013