1999-2009. Dix ans déjà que le légendaire label berlinois BPitch Control fait partager son sens de l’électronique. Dix ans que des artistes fondamentaux de la techno y sont dénichés avant d’être reconnus à l’international. Dix ans que cette petite entreprise musicale est devenue un melting-pot de personnalités passionnées…
À l’origine de BPitch Control, Ellen Allien. Née et élevée à Berlin-Ouest, elle grandit aux sons des mélodies de David Bowie. C’est à 20 ans qu’elle entame sa carrière de DJ, et se fait un nom dans les plus grands clubs européens, à commencer par le fameux Fischlabor. Elle n’en a pas 30 lorsqu’elle fonde son propre label. Depuis, elle a lancé Modeselektor, Sasha Funk, Housemeister, Kiki, Thomas Muller, Feadz… Tous aussi performants les uns que les autres. Le but du label est de prospérer, bien sûr, mais pas à n’importe quel prix. L’obsession de l’argent ne doit pas entraver les élans créatifs. Surtout pas. « Lorsqu’un label se focalise plus sur un business model orienté chiffres d’affaires plutôt que sur le développement musical, cela m’ennuie à mourir ! » confirme Ellen Allien.
À l’origine de BPitch Control, Ellen Allien. Née et élevée à Berlin-Ouest, elle grandit aux sons des mélodies de David Bowie. C’est à 20 ans qu’elle entame sa carrière de DJ, et se fait un nom dans les plus grands clubs européens, à commencer par le fameux Fischlabor. Elle n’en a pas 30 lorsqu’elle fonde son propre label. Depuis, elle a lancé Modeselektor, Sasha Funk, Housemeister, Kiki, Thomas Muller, Feadz… Tous aussi performants les uns que les autres. Le but du label est de prospérer, bien sûr, mais pas à n’importe quel prix. L’obsession de l’argent ne doit pas entraver les élans créatifs. Surtout pas. « Lorsqu’un label se focalise plus sur un business model orienté chiffres d’affaires plutôt que sur le développement musical, cela m’ennuie à mourir ! » confirme Ellen Allien.
Comment résumer l’esprit exceptionnellement innovant de BPitch Control ? Pour Sven von Thülen, de Zander VT, il s’agit surtout d’« être (et de rester) imprévisible ». D’après Mr Statik, autre artiste de la maison, il s’agit de « la liberté de poursuivre tes instincts artistiques et inspirations tout en transcendant des tendances et vagues éphémères. » Quand on parle d’éphémère, on parle de fragilité : BPitch Control n’était pas forcément vouée à son actuelle notoriété. Les risques étaient pris, sans retenue aucune. « Tout a commencé pendant une très mauvaise période après la mode techno de 1998, se souvient Ellen Allien. Beaucoup de clubs fermaient et les médias contribuaient à ruiner la scène électro : tout d’un coup, la techno était out ! J’ai vécu une véritable crise créative, mais la lumière est revenue, et m’a accompagnée jusqu’à aujourd’hui. La musique est une source de force, c’est ma seule dépendance. J’aime voyager, et observer ce que font les autres ailleurs : le socialisme est la clef de tout. »
C’est en effet une vraie vision de socialisme musical que cultive la DJette berlinoise. Cet extraordinaire goût du partage a sans aucun doute motivé sa démarche entêtée, malgré des débuts laborieux. « En 1997, j’ai ouvert la BPitch Control Channel, raconte t-elle. En 1999, le premier album sortait. Quelques singles sont devenus de réels succès et le premier album a gagné une notoriété internationale. Avant cela, Berlin n’était pas vraiment reconnu dans ce domaine. Ce sont les scènes espagnoles, françaises et belges qui nous ont appréciés en premier, avant les Etats-Unis et l’Angleterre. La plupart des artistes ont grandi avec nous, et nous avec eux. Certains ont intégré le label tandis que d’autres partaient. J’apprécie ce moment où le flux et le reflux créent de l’espace pour de nouveaux entrants. » Ne pas se retourner, regarder droit devant tout en donnant sa chance au passé : voilà une des grandes forces du label berlinois. Ce n’est pas l’avant-gardiste Kiki qui nous dira le contraire, pour lui, BPitch Control est « une accélération vers le futur ». Le spatio-temporel a son importance, avec Berlin comme centre nerveux et BPitch Control comme mine d’or sonore.
Les artistes représentés par BPitch sont cajolés, encouragés, conseillés – loin des contraintes marketing ou des prérogatives d’une banale maison de disque. Nulle question ici d’imposer quoi que ce soit : le but est de faire connaître des nouveaux sons, de nouveaux visages, de nouvelles façons de dialoguer au quotidien. « C’est un réseau social qui s’épanouit, permettant de donner de l’espace à chacun des membres dans notre cosmos, explique Ellen Allien. Sasha Funke est un adorable DJ qui rend les filles folles. Paul Kalbenner s’adresse au cœur des gens à travers ses sons mélancoliques et, depuis son film Berlin Calling, fait réagir une plus grande audience encore. Modeselektor, qui a su établir son style grâce à de grandes performances. Les Pfadfinderei séduisent avec leur graphisme surprenant… Beaucoup de talents ont contribué à faire de BPitch Control ce qu’il est aujourd’hui, ainsi que toute l’équipe des coulisses. Même si l’on doit garder en tête le pouvoir de la hype berlinoise : le clubbing est en effervescence, et tous nos artistes ont en commun de faire bouger la scène et les dance-floors… » Y compris Ellen Allien. Loin de s’en tenir à ses propres compositions, elle s’amuse toujours autant à remanier à sa sauce (minimale de préférence) les hits des autres. Dernier méfait en date : le remix de « Pop the Glock » de l’Américaine Uffie, qui prend aussitôt une tout autre dimension proche de l’hypnotique…
D’après Jay Haze alias FuckPony, « BPitch Control est une vibration musicale cacophonique qui diffuse son énergie parmi les particules flottantes du temps et de l’espace ». Derrière cette formule quelque peu étrange, on peut décrypter un élément notoire de la réussite du label : la valorisation de l’éclectisme. De l’électro, oui, mais de la variété avant toute chose. Si la minimal prédomine le catalogue, on y trouve également de l’electronica, de l’ambient, du breakbeat, de l’abstract techno, des variantes acides de la house, des tendances psychédéliques, etc. Le seul dénominateur commun est le concept d’une Intelligent Dance Music (IDM). Tout comme la société dont elle constitue l’une des nombreuses facettes, la musique évolue sans cesse. « On peut dire que les formats ont changé, le vinyle n’est par exemple plus vraiment le meilleur support du deejaying… L’underground est devenu un mouvement à part entière, à la croisée des chemins. Tout est devenu possible. L’augmentation des scènes a permis à la musique électronique de faire émerger des grands groupes. Cela a permis de développer quelque chose que je trouve très intéressant, car produire quelques morceaux n’est en rien comparable à la capacité de mettre en place une scène et une performance complète. C’est pourquoi ma boîte mail déborde de morceaux que je dois écouter – bons ou mauvais. Aujourd’hui, il y a beaucoup de moyens pour faire connaître et diffuser sa musique. Les medias digitaux sont émergents et cela signifie encore des possibilités insoupçonnées. Les influences viennent du jazz, de la soul, du hip-hop, de la world music, du rock et rendent tout plus excitant. L’époque est cruciale pour tout artiste qui souhaite écrire une musique exceptionnelle. »
Et l’avenir du label, intimement lié à la musique ? Ellen Allien répond avec une franchise et un aplomb déroutants : « il est difficile de prévoir le futur, mais nous aurons besoin de nouveaux instruments pour créer quelque chose de réellement nouveau. L’ordinateur devra sans doute être substitué par quelque chose d’autre. » Ces dix dernières années, le meilleur est venu, mais il en reste encore à venir : l’amitié est pérenne, tout comme la musique. Quand on lui parle de son label, c’est un très enthousiaste Thomas Muller qui s’exclame : « Peace and Love, techno hippies ! ». Longue vie à BPitch Control !
www.bpitchcontrol.de et fashion.ellenallien.de
Texte et interview : Sophie Rosemont
Illustration : Benjamin Savignac
EXTRAIT DEDICATE 22 – Hiver 2010