À l’heure où l’œuvre de Jean-Michel Basquiat occupe de nouveau l’espace, une nouvelle génération redécouvre la période courte et intense de la New Wave New Yorkaise. Amos Poe et Debbie Harry nous évoquent ces années mythiques. Ils en profitent pour nous donner des nouvelles tels deux amis retrouvés.
De 1979 à 1982 alors que les utopies des années hippies s’éteignaient une bande de jeunes gens modernes et créatifs réinventaient le monde. Jean-Michel Basquiat pour la peinture, Maripol pour la photo, David Byrne (Talking Heads), James Chance, les Ramones, Klaus Nomi et surtout l’époustouflante Debbie Harry (Blondie) pour la musique se retrouvaient tous au sein de l’émission ultra fauchée mais inventive, TV Party, présentée par Glen O’Brien (que l’on retrouve dans le documentaire de Tamra Davis sur Basquiat) et réalisée par Amos Poe. Amos et Debbie sont deux grands amis qui ont beaucoup rêvé ensemble. La chanteuse tournant dans une série de films du réalisateur de la génération X (Unmade Beds, The Blank Generation, The Foreigner) qui sont autant d’hommages punks à une nouvelle vague française fantasmée survenue 15 ans plus tôt.
Comment vous êtes-vous rencontrés et avez-vous décidé de travailler ensemble ?
Debbie Harry : Cela semblait être la chose juste à faire à cette époque. L’enthousiasme et la folie d’Amos sont contagieux…
Amos Poe : Bonne question. Je ne suis pas sûr. Vraisemblablement au CBGB ou par l’entremise d’Ivan Kral, qui joua brièvement avec Blondie.
Amos avez-vous des anecdotes éclairantes sur la réalisation de vos films avec Debbie ?
Amos : Bizarrement tout ce que j’ai fait avec Debbie a été très facile. Un de mes souvenirs a été de monter sur un loft du Bowery, pour le film Blank generation, pour filmer le groupe sur un toit. Manquant de pellicule, j’avais tout filmé en 18 images secondes comme pour un film muet. Les scènes de Debbie dans « unmade beds » et « the Foreigner » continuent à hanter mon esprit et représentent pour moi des jours meilleurs plus que tout autre chose. Je me souviens aussi que Chris, Debbie, Glen et moi eûmes l’idée de réaliser un remake d’Alphaville en achetant les droits du film à Godard, avant de se rendre compte qu’il ne les avait pas. J’aimerai toujours faire ce film, avec un changement…Debbie dans le rôle de Lemmy Caution.
Debbie décrivez nous Amos.
Debbie : Amos est un peu un paradoxe dans le sens qu’il est un érudit en tout ce qui concerne le cinéma mais considère son propre travail avec légèreté, délicatesse et flexibilité. Il est drôle et aime rire d’une réalité parfois dure qui le surprend.
Des souvenirs de l’époque de TV Party ?
Debbie : Je ne me souviens de rien en particulier, mais ça ne veut pas dire que ça n’est pas arrivé…Je sais que TV Party était une pure folie et qu’Amos à la caméra complétait le tableau.
Amos : TV Party était une idée de Glen O’Brien et de Chris Stein si je m’en souviens bien. C’était notre version de l’émission Playboy Party d’Hugh Hefner…C’était comme un chaos organisé. J’étais dans une petite pièce en train de monter l’émission en direct avec deux caméras en visant à ce que les choses restent passionnantes. Très souvent, il y avait autant de choses de la part du public que des invités. Les fêtes à thèmes étaient drôles. Jusqu’à aujourd’hui je ne sais pas si quelqu’un regardait l’émission en direct. Il y a certainement plus de gens qui ont vu l’émission ces dix dernières années qu’à l’époque, où les mardi soir, étaient relativement ennuyeux et donc faits pour du cabotinage. C’était notre version du sub-réalisme
Debbie comment vous décririez vous pendant la fin des années soixante-dix ?
Je ne peux pas le faire clairement, excepté que j’ai pu devenir la personne que je rêvais d’être. Je me souviens aussi d’une période excitante et aventureuse.
Et vous Amos ?
Heu, je n’en suis pas sûr…Mais en substance j’essayais d’inventer quelque chose. Je n’étais pas un réalisateur expérimenté alors je ne pouvais qu’apprendre qu’en faisant des films. Ce que je voulais faire c’était réinventer la nouvelle vague à New York. Je pense que c’était ma seule passion.
Quels sont vos projets ?
Debbie : J’ai constamment écrit et enregistré pendant ma carrière et il est plus que fort probable que je continue. Notre nouveau projet avec Blondie se nomme « Panic of girls » et constitue un florilège varié d’humeurs et de styles de musiques longtemps associé aux albums du groupe.
Amos : Je suis en train de finir « La Commedia » qui est une sorte de transposition cinématographique de la Divine Comédie de Dante en utilisant les outils d’Edward Muybridge. C’est aussi une méditation sur ce que l’on perçoit être un long métrage.
En quoi le New York punk actuel a- t- il changé depuis les années punk ?
Debbie : New York a changé tout comme la plupart des villes occidentales et c’est devenu un endroit où vivre et travailler revient cher. Les artistes au début de leurs carrières doivent la plupart du temps vivre dans des grandes villes afin de se faire connaître, de rencontrer et travailler avec les talents émergents. Ce défi économique est quasiment impossible à dépasser, mais malgré tout, les arts et la musique continuent de fleurir. L’importance de scènes artistiques telles que celles de Paris, Berlin ou New York sont aussi nécessaires au monde que l’air, l’eau et la nourriture.
Amos :Wow ! Vaste programme. Disons que plus une ville change plus elle reste la même. Bien sûr dans les 70’s il était beaucoup plus facile de s’amuser et de créer sans argent. Mon loyer était de 125 $ aujourd’hui il est de 3000 $.
Avez-vous des souvenirs liés à la France ?
Debbie : J’étais à un stade misérable de ma vie et j’étais venue à Paris pour trouver un petit boulot ou quelque chose et je restais seule sans compagnon ni amis parisiens. Alors je me baladais toute la journée et toute la nuit comme je le fais à New York. Ce qui m’est arrivé est une expérience que l’on voit souvent relatée en science-fiction. Alors que je tournai à l’angle d’une rue, je me retrouvai dans un autre siècle et comme transportée dans une autre époque. Bien que se fut pour un bref moment (du moins il m’a semblé), cette impression est restée agréablement en moi.
Amos : J’aime la France et les films français. Paris reste la plus belle et triste des villes où vagabonder. Il me tarde de voir davantage de ce pays. Le festival du film américain de Deauville en 77 et 78 furent parmi les moments les plus intenses de ma vie, mes premiers festivals du film.
Pour se procurer TV Party : www.brinkdvd.com
Il convient de se procurer l’ouvrage de photos de Maripol : « Little Red ridding » aux éditions Damiani pour retrouver l’esprit du New York de Debbie et d’Amos.
Interview : Jean Emmanuel Deluxe
Photographie : Bobby Grossman & Fernando Natalici
EXTRAIT DEDICATE 24 – Automne-Hiver 2010/2011