Le constructeur automobile anglais Jaguar Land Rover n’a de cesse de s’inscrire dans la modernité et de suivre les mutations de la société. Rencontre avec le Franco-brésilien François Dossa, Directeur stratégie et durabilité de l’entreprise depuis 2021, dans un dialogue qui mêle de manière parfaitement naturelle, art contemporain, véhicules électriques et inclusivité.
Nous nous rencontrons à l’occasion d’un événement qui pourrait surprendre : la présentation d’un projet réalisé en parallèle par trois jeunes artistes contemporains et initié par Jaguar. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative ?
Depuis sa naissance, Jaguar est une marque qui valorise l’art. De fait, alors même que nous sommes en train de la réinventer, l’occasion était belle de mettre en place ce Creative Lab, et de prendre la parole en amont avant le lancement de nos futurs modèles qui seront désormais exclusivement électriques. Sur une initiative de Jaguar France, et en collaboration avec le magazine Têtu, trois artistes émergents ont été choisis pour livrer une œuvre inspirée de la nouvelle Jaguar, dont la sortie est prévue en 2025. Mentorés par d’autres jeunes créateurs déjà établis, ils ont livré en deux semaines à peine, des œuvres incroyablement créatives. Outre l’importance pour nous d’être liés à des artistes, le fait que tous trois soient LGBT nous tient vraiment à cœur, car la cause de la diversité et de l’inclusion est essentielle pour toute l’entreprise Jaguar Land Rover. Je suis moi-même gay, je le dis, et je pense – j’espère tout du moins – que cela ne choque plus grand-monde. C’est en tout cas notre objectif. Ensuite, l’investissement sur la jeunesse est à mes yeux également fondamental, car je considère que ma génération a fait beaucoup de bêtises, qui ont influé sur l’état de la planète ou qui encore, ont accentué les inégalités entre les riches et les pauvres. Et je ne suis pas très fier de l’héritage que l’on va laisser… Pour ce qui est des artistes qui se lancent aujourd’hui, les choses sont évidemment très difficiles, parce que personne n’a envie de miser sur eux. Donc montrer que Jaguar en est capable, en mettant en plus en avant la diversité, cela a vraiment du sens.
Charles de Vilmorin mentore Andrea Albrizio
Adeline Rapon mentore Arthur Francietta
A compter de 2025, toutes les nouvelles Jaguar seront donc électriques. Comment allez-vous convaincre les sceptiques ?
D’abord, ils vont voir ! Et forcément, ils vont être extrêmement frappés par le design des voitures, qui sont sincèrement de véritables œuvres d’art. Ensuite, ils observeront ce qu’il y a à l’intérieur, un univers pas du tout saturé de boutons et d’écrans, mais au contraire très simple, intuitif. Ils se retrouveront ainsi dans un environnement extrêmement confortable, où ils se sentiront bien. Enfin, les conducteurs découvriront une nouvelle plateforme électrique, avec des performances technologiques complètement incroyables. Quand ils feront leur premier test-drive, je pense qu’ils seront bouleversés par l’expérience de conduite. D’autant plus parce que l’accélération de l’électrique est beaucoup plus forte, plus rapide que celle d’une voiture classique.
Certains pensent tout de même que l’électrique n’est pas forcément la solution la plus écologique…
En effet, et il nous faut bien sûr leur apporter des réponses. De notre côté, nous commençons par mesurer les émissions de CO2 des véhicules et là, il est clair qu’on n’en produira plus. Maintenant, la polémique concerne surtout l’énergie qu’on utilise pour faire rouler la voiture. Si on ne prend que des centrales à charbon, bien sûr, ça ne va pas ; il faut aussi que l’on travaille sur les énergies renouvelables, le solaire, les éoliennes… Après, il y a la question de la batterie. Construire une batterie aujourd’hui, nécessite énormément d’énergie. La recyclabilité devient forcément essentielle et on va justement s’engager sur cette voie-là. Il n’y a pas assez de cobalt ou de lithium dans le monde, donc il va falloir recycler. J’ai chez Jaguar, la responsabilité du développement durable, à savoir tout ce que l’on appelle l’économie circulaire, et suis assez certain que les énergies renouvelables vont se développer, de bout en bout, à chaque niveau de la chaîne.
En résumé, Jaguar travaille donc beaucoup sur la question environnementale mais est aussi très engagée au niveau social, en promouvant la représentation des diversités dès qu’elle le peut. Cet engagement précis est d’ailleurs aussi particulièrement ancré au cœur même de ses équipes…
Oui, nous avons ainsi créé en interne, quatorze réseaux d’employés qui représentent chacun une diversité. Le plus conséquent est Women in engineering, qui rassemble les femmes ingénieures et d’ailleurs, j’adore aller parler avec elles et travailler avec elles ! Mais il y a aussi des minorités ethniques ou religieuses et même une communauté de parents. Une partie du temps de travail des salariés concernés est consacré au fonctionnement de ces réseaux ; ce qui amène très naturellement à ce qu’on appelle le bottom up. Les employés réfléchissent à divers sujets et viennent proposer des projets à la direction, qui ensuite en retour, fait un top down, pour que leurs idées se concrétisent. Notre Président, qui est complètement acquis à cette cause, a nommé deux sponsors, Barbara Bergmeier et moi-même, pour se charger de faire passer de nouvelles mesures. Par exemple, nous avons instauré celle des quotas. C’était important, parce qu’en matière de recrutement, la bonne volonté ne suffit pas et que les gens ont spontanément tendance à s’entourer dans leurs équipes, de collègues qui leur ressemblent. Ainsi, en 2026, il faut que nous ayons atteint le palier de 30 % de femmes en position de management. Il faut rappeler à ce titre, que le secteur de l’automobile est très masculin, donc c’est déjà un gros objectif. Aussi, nous visons aux mêmes postes, le taux de 15 % de diversité ethnique. Car le fait est que nous sommes convaincus qu’une entreprise plurielle, c’est une meilleure entreprise : on a plus d’idées, on comprend mieux les choses, on les présente mieux, on fait de meilleurs produits et de fait, on vend plus. Au démarrage, nos quatorze réseaux travaillaient un peu « en silos », et nous les avons incités à partager leurs expériences. Nous nous sommes ainsi rendu compte que tous partageaient plus ou moins les mêmes problèmes, mais aussi que beaucoup avaient toujours tendance à se voir comme des imposteurs. L’objectif, dès lors, est donc de montrer que tout le monde à sa place et que l’entreprise ne sera intelligente que si chacun y est vraiment ce qu’il est, sans essayer de se conformer à un modèle.
Propos recueillis par Carine Chenaux. Photos artistes Creative Lab, Alan Marty