La ghetto music de la Nu-Orleans est appelée bounce ; le style le plus cul des USA. La raison première à sa popularité est organique : “Everybody like to shake they ass. To shake like a dog”.
“Azz everywhere”, le hit underground du moment, résume parfaitement le message de la bounce : faire rebondir les culs, sur le dance-floor, contre les murs, sur le bar. La bounce et ses “party-in-the-street” vibes proposent un total contre-pied au rap conscious et son affirmation afro et/ou féministe. À Nola, comme disent les cainris, c’est “partying and having fun”. La bounce fait partie intégrante du folklore local, au même titre que la soul food, les ouragans, et les seins nus du carnaval. Comme à chaque fois avec les ghettos musics, le genre est populaire dans la ville, totalement alternatif en dehors. En posant comme préalable à l’apparition d’une ghetto music l’équation – large population black + grande pauvreté – avec près de 70% de noirs et l’un des taux de chômage les plus élevés des Etats-Unis, la Nu-Orleans est un terrain idéal ; avec un super bonus ! Nola est l’épicentre de la fête à outrance. Chaque année pour le carnaval, trois jours de parades ambiancent les rues du berceau du blues, du jazz, et de la funk.
La recette des productions bounce est relativement simple. À la base : un sample, le “Triggaman” beat emprunté à “Drag Rap”, un morceau de 1986 du duo new yorkais The Showboys. Autour de ce sample se construit, soit un style “chop and cut”, comme il se dit en VO, soit des morceaux où les sons font de nombreux ricochets, le flow n’est, lui, pas narratif mais reprend le système des call-andresponse des indians chants du carnaval. Les appels du MC qui demandent donc des réponses au public, couplés aux shout-outs – les dédicaces aux différents quartiers (wards) et cités (projects) de la ville – donnent à la bounce cette touch participative unique : “Shake it for the Fourth Ward”, “Work it for the Fifth Ward” demandent des MCs dont certains représentent leurs quartiers jusqu’au travers de leurs blases : de “5th Ward Weebie” à “10th Ward Buck”. Comme le raconte le rock critic anglais Nik Cohn dans “Triksta” – un livre relatant son expérience de producteur dans les scènes rap et bounce de Nola – mieux vaut savoir où vous mettez les air force one dans les quartiers pauvres et noirs de la ville (découpée en wards). L’histoire est vraie : un ghetto boy du 7th ward entre dans un rade du quartier en faisant de ses deux mains et de ses 7 doigts, le signe de reconnaissance local : 5 doigts levés à gauche, 2 à droite. Il se prend alors 3 balles dans la poitrine. Dans la pénombre du bar, le tueur n’a pas vu sa deuxième main et a donc prit son entrée à 5 doigts (signe de reconnaissance du 5th ward) pour une provocation. C’est dans cet univers hyper violent qu’est apparue il y a dix ans la scène la plus folle du pays : la Sissy Bounce.
Si rappeur – gay est un oxymore quasi partout à travers le pays, ça n’est pas le cas à Nola. Ici, ce sont des artistes homos qui font actuellement exploser la Bounce et lui donnent une visibilité (inter)nationale. Après 10 ans d’activisme bounce totalement underground, Katey Red, Big Freedia, Sissy Nobby, ou encore les SWA (Sissies With Attitude), font sortir le genre des ghettos de Nola. Washington, New york, LA, Chicago, après la première partie de Snoop Dog fin mai, Big Freedia arrive en Europe cet été et passera après Amsterdam et London, le 2 septembre au Social Club à Paris.
Big Freedia est ami(e) avec Katey Red (voir dessin) depuis tout kid, avant même de devenir she. Ils ont grandi à 4 blocks l’un de l’autre dans une des nombreuses cites de la ville. Pour la petite histoire qui fera peut-être partie un jour de la grande, avant de se lancer en solo, Freedia faisait partie du groupe de back vocals de Katey Red, les Dem Hoes. Freedia et kate profitent depuis le début de l’année d’une exposition jusqu’à présent impensable pour un artiste gay du ghetto : HBO ! Elles apparaissent régulièrement dans la saison 2 de Treme, la nouvelle série télé de David Simon (le créateur de the Wire) située à la Nu-Orleans juste après le passage de Katrina. Pour tenter de comprendre comment des artistes trans-genre ont pu s’imposer dans ce game, il faut connaître l’histoire de cette ancienne ville de bordels ; Début 20ème, les musiciens noirs avaient pour habitude d’accompagner les chansons cul et crue des putes et des travelos. La Nu-Orleans a une longue tradition des spectacles gays, du travestissement, présents dans la culture populaire depuis plus d’un siècle ; Dans les années 40 et 50, les plus célèbres performers black étaient gays. Au delà des professionnels du spectacle, c’est une tradition pour les habitants de Nola de se masquer, de se travestir, d’inverser les genres le temps du carnaval ; Bref, du proto trans-genre. Bobby Marchan, un chanteur soul homo qui se travestissait parfois, peut être considéré comme la première sissy. L’un de ses tracks les plus connu a pour paroles :
“I’m not a woman, i’m not a man – I’m Bobby Marchan !”.
Katey Red a l’an dernier remixé sa célèbre catchphrase dans son track “Stupid” : “Am i a boy or a girl ? Nah, i’m Katey Red”. Biologiquement mâle, gay et à l’identité totalement féminine, Katey Red est la plus folle des sissies. Habillée en femme, des talons (très) hauts à la perruque, la filiation drag-queen est relativement évidente chez elle. Pour sa sista Big Freedia qui aime se faire appeller “Big Freedia, the dick eater”, le masculin reste plus flagrant – Freedia mesure plus d’1 mètre 90 – et le trans-genre est donc avec elle à son top, mais rien de gay militant. La sissy bounce, tout comme la bounce, est une ghetto music faite pour s’amuser cul en avant ; le public est d’ailleurs depuis toujours majoritairement féminin. Le plus des sissies par rapport aux artistes bounce hétéro, c’est leur proximité avec les femmes qui se reconnaissent dans les paroles, où la violence des boy-friends ou les histoires de cul foireuses se retrouvent mises en boucle. Pour le reste, tout n’est question que de “work it ! pump it ! shake it like a dog !”. Pour résumer en samplant un classic bounce : “Do it baby, stick it !” Sur la bounce les filles se lâchent totalement, et d’autant plus facilement avec une sissy comme MC. Elles ne dansent pas entre elles ou seules mais de la façon la plus sexuelle possible pour leur sissy. Ass-in-the-air : elles leur présentent leur cul, courbées en avant, une ou deux mains au sol, et remuent du bassin en faisant de petits mouvements de bas en haut hyper rapides appelés p-popping et rump-shaking. En VF, ça donnerait : secouage de croupe et ouverture de chatte. Si si, ça se passé comme ass sur la Bounce.
WHO’S WHO
Gotty Boi Chris, 5th Ward Weebie, Choppa, Jubilee, Katey Red, Sissy Nobby, Big Freddia, Sissies With Attitude. Vlà quelques noms clés à donner à la grande google pour récupérer sounds et vidéos de bounce & sissi bounce music
Texte : Olivier Schmitt (RIP🙏)
Illustration : Guillaume Jolly
EXTRAIT DEDICATE 26 – Été 2011