La street légende veut que se soit à l’écoute d’une mixtape sur un ghetto-blaster aux piles faiblissantes qu’un ghetto kid sous codéine ait eu le déclic : il va inventer la Screwed and Chopped music ; un style de rap au ralenti.
Tout début 90, après sa géniale découverte – la codéine matche à merveille avec du rap au ralenti – Robert Earl Davis prend comme blase de Dj “Screw” et se met à “slowing down” tout ce qui passe sur ses platines (il a eu sa première à 13 ans), des hits rap grand-public au plus underground des ghettos shits, en passant par du r&b. En 1995, il déclare dans une interview donnée au magazine The Source “I wanna screw the whole world”. Après avoir appliqué sa recette “Screwed and Chopped” (“Chopped” consiste à répéter certains passages d’un morceau), il invite les rappers du south-side de Houston à poser sur ses “slowed-down mixes” et crée ainsi la Screwed Up Click (S.U.C.) feat. Lil Keke, Big Moe, Hawk, Trae, Fat Pat, Mister 3.2, Big Pokey… pour ne citer que les principaux soldats.
Dj screw devient rapidement – major whitout a deal – en vendant des milliers d’exemplaires de ses Screw tapes dans son Screwed up shop ; une toute petite ghetto house du south-side de Houston avec des barreaux aux fenêtres, et des tonnes de K7 sur les étagères : 244 chapters sont référencés sur le label Screwed up records & tapes. Être “rich and famous” sans être signé par une major du disque ; ce statut d’indépendant sucess full restera un modèle de micro-économie pour les différentes scènes ghetto. La Screwed and Chopped music est alors certes totalement underground, mais le genre hyper populaire à Houston permet de faire du chiffre et ainsi de collectionner deux accessoires indissociables du folklore local : les diamond grillz pour sa bouche, et les spinning wheels pour sa candie car ; appellation en référence aux couleurs acidulées des carrosseries. “Being fashionable by car”, telle est la formule. Houston, la quatrième ville des US est extrêmement vaste et éclatée. Les distances entre les south et north sides sont telles que chacun passe des heures dans sa caisse du coup transformée en véritables MJC montée sur roues. Bien avant les rides pimpés d’Xzibit sur MTV, les membres de la S.U.C. équipent leurs S.U.V. de dvd players et de consoles de jeux, de mini-bars et de maxi sound-systems. D’ailleurs, la screw ne se danse pas en club mais «on the road» au volant de sa caisse ; c’est le “swang and bang”. “Swanging” consiste à faire des S en roulant. “Banging” à faire rebondir son ride d’avant en arrière grâce à un coup de frein. La voiture est l’outil principal de diffusion de la screw, littéralement, d’une part grâce à la puissance de son, d’autre part grâce à la contenance des coffres. “Direct from the trunk”, c’est ainsi que se vendent pour beaucoup les mixtapes. Devenu cd-mixés, même aujourd’hui à l’heure du mp3 dominant, ce format reste omniprésent dans les ghettos.
“Ne roule pas bourré, gare-toi et défonce-toi”, telle pourrait être la VF de la célèbre punch-line “Dont drink and drive, park and sip” soit une énième référence au sirop codéiné et à son mode de consommation : “sippin sizzurp” en VO. Dans une cup sur-sizée pouvant facilement atteindre les 80 cl, ce sirop contre la toux contenant de la codéine et de la prométhazine est noyé dans du Sprite et bu – all day / all night long – à la paille, par petites lampées. La couleur violette du mélange est à l’origine de l’un des moult surnoms de la boisson : “purple drank”. Cette consommation “mythonée” par une poignée, réelle pour la majorité, est chroniquée à longueur de morceaux par les rappers de Houston. Et même après avoir connu le succès, les ghetto stars de la screwed and chopped music continuent à consommer le “Texas tea” qui peut s’avérer mortel. En 2000, Dj Screw est retrouvé mort, seul chez lui, le nez dans sa cup de purple sizzurp. En 2007, c’est au tour de Big Moe – un membre de la Screwed Up Click – de connaître la même fin tragique. Toujours en 2007, Pimp C, la moitié de UGK, duo roi de l’underground sudiste, meurt lui aussi d’une overdose de codéine. Si les stars du rock ont pour habitude de mourir noyées dans leur vomi, celles de la screw font de même, mais dans leur sirop. Du coup, le fameux “white tee” porté à l’origine par les blacks en quête d’anonymat – véritable ghetto uniforme, imaginez la description faite à la police après un braquage “a black guy with a white tee” – est souvent pimpé d’un RIP. Dur ? Ben ya encore plus dur ! Comme une sorte de mise en abime morbide de la toxicomanie, dans cette scène où les “downers” sont rois – à chaque style de musique un style de drogue, des scènes ghetto aux tempos plus rapides préféreront les “uppers” – l’autre principal style de défonce est le Natron ; un liquide d’embaumement mortuaire dans lequel certains trempent leurs joints. Ils se défoncent ainsi avec le produit permettant de conserver le corps des défunts !
PAUL WALL : THE KING OF GRILLZ
Depuis toujours aux US les rappers reprennent les codes des pimps, tel le “dress to impress”, ou comment montrer sa réussite en multipliant les signes extérieurs de richesse. Les pompes en croco des macs old school sont devenues les grillz en diamant des rappers new school. Plus ça brille, plus tu pèses de pez. Désormais, la meilleure façon de dire “I’m rich, bitch !” est d’avoir l’un de ces bijoux pouvant coûter jusqu’à 50 000 dollars en bouche. Le “king of grillz”, c’est Paul Wall. Le mec a un double biz : rapper et bijoutier. Top pratique, ses morceaux font office de catalogue de vente pour ses dernières créations. Il raconte dans ses raps que sa bouche ressemble à une boule à facettes, qu’il change de grillz comme toi de baskets.
WHO’S WHO
Dj Screw, Paul Wall, Slim Thug, Lil Flip, UGK, Trae, Mike Jones, Hawk, Chamillionaire, Michael Watts, Mister 3.2, vlà quelques noms clés à donner à la grande Google pour récupérer sounds et vidéos de Screwed and Chopped music.
Retrouvez cette story en radio sur nova :
www.novaplanet.com/radionova/nuunderground/screwed-and-chopped-music
En vidéo sur dailymotion : www.dailymotion.com/video/x9vt9g_drugstore-4_music
Texte : Olivier Schmitt
Illustration : Guillaume Jolly
EXTRAIT DEDICATE 25 – Printemps 2011