Neuf ans après leur bombe atomique Franz Ferdinand (2004), on ne croyait plus qu’à peine au potentiel tudesque d’un nouvel album. Surprise : le groupe écossais nous épate encore, avec un bien nommé Right Thoughts, Right Words, Right Action. Dès les premières notes de l’hymne tout trouvé Right Action, on plonge à nouveau dans le rock. Pour de bon !
Enregistré entre le home studio écossais du chanteur Alex Kapranos et celui du guitariste Nick McCarthy à Londres, ce quatrième album renoue avec le succès de leurs débuts. De Evil Eye à Bullett en passant par Love Illumination ou Stand On The Horizon, l’album file à une vitesse électrique, inscrivant en profondeur ses mélodies dans les mémoires de ceux qui le croisent.
Rencontre avec Alex Kapranos et Nick McCarthy, visiblement très excités à l’idée de défendre cet album qu’ils savent calibré pour les charts… et la scène. Qui n’a pas vu Franz Ferdinand en live passe à côté de quelque chose d’assez exceptionnel.
Tout d’abord, pourquoi ce titre ?
Alex Kapranos : Pour plein de raisons. D’abord parce que chacun peut l’interpréter comme il le veut, et surtout se l’approprier. En gros, “à toi de jouer”. Se remettre dans le droit chemin après un moment difficile, tout le monde peut le faire. Mais, en plus d’envisager la bonne stratégie, il faut bien s’exprimer – l’expression est primordiale dans un monde où l’on est tenté de communiquer que par mail. Quelques mots peuvent résoudre la plus compliquée des situations.
Que s’est-il pass é depuis Tonight, sorti il y a quatre ans ?
A.K. : Nous sommes d’abord partis en tournée, pendant deux ans. Mine de rien, ça occupe. J’ai produit des albums, comme celui du jeune groupe Citizens et du compositeur écossais que j’adore, RM Hubbert.
Nick Mc Carthy : Pour ma part, j’ai travaillé pour des pièces de théâtre, je visite des expositions, j’ai respiré l’air de Londres. Pas mal comme occupations, non ?
Comment vous êtes-vous réunis pour ce nouvel album ?
A.K. : Justement, en ne nous réunissant pas vraiment, tout en nous retrouvant comme jamais auparavant. Je m’explique : en 2012, nous avons commencé à nous organiser des sessions d’où sortaient un ou deux titres. C’était toujours de manière très ponctuelle, ensuite nous retournions mener notre vie, en méditant sur notre musique, sur le tour que prenait Right Thoughts, Right Words, Right Action. L’objectif était de ne pas se sentir enfermés entre quatre murs pendant des jours ne faisant que de la musique.
L’air du temps vous inspire-t-il à ce point là ?
A.K : Absolument. Nous avons chacun besoin de voir notre famille, nos amis, de faire des expos, de fréquenter d’autres artistes pour être ensuite inspirés en tant que collectif. Le mythe du groupe fusionnel qui finit par se déchirer, très peu pour nous !
C’est votre méthode pour éviter de vous lasser les uns des autres ?
N.McC. : Exactement, et elle marche très bien. Tout le monde nous dit que Right Thoughts, Right Words, Right Action rappelle notre premier album, et ce n’est pas pour rien. Nous avons réussi à retrouver le bonheur d’être ensemble, de jouer à fond, d’offrir le meilleur de nous mêmes en tant qu’unité.
Pourtant , les rumeurs disent que l’enregistrement de Tonight avait été difficile, que vous aviez frôlé l’implosion. Est-ce la vérité ?
A.K. : Ce n’est pas tout à fait faux (sourire). C’était une période de ma vie difficile à titre personnel, j’avais connu un chagrin amoureux (avec la chanteuse Eleonor Friedberger, ndlr)… bref, je n’étais pas en forme. Si on ajoute à cela dix-huit bons mois enfermés ensemble entre quatre murs d’un studio, puis deux ans de tournée, on obtient un cocktail explosif de ressentiments et de tensions.
En quoi la tournée de Tonight, dont vous vous êtes plaints à plusieurs reprises, a été si difficile ?
A.K. : Jouer tous les soirs la même chose, se donner à 100% au public, ce qui est la moindre des choses, passer 24 heures sur 24 ensemble… Nous n’en pouvions plus, c’était la tournée de trop. Heureusement, nous nous sommes ressaisis, moi le premier.
Enregistré entre l’Ecosse, Londres, Stockholm et Oslo, cet album a beaucoup voyagé, et pourtant , il épouse le style Franz Ferdinand à 100%…
A.K. : Ecossais un jour, écossais toujours ! (rires) La plupart des chansons ont été enregistrées dans mon studio à Black Pudding. L’album a aussi été travaillé chez Nick, à Londres, aux côtés de musiciens que nous admirons depuis longtemps, Alexis Taylor et Joe Goddard d’Hot Chip. Bjorn Yttling, tête pensante du groupe suédois Peter, Bjorn & John, valait le coup de faire le détour jusqu’en Suède.
Malgré que l’on reconnaisse votre patte instantanément, votre rock’n’roll est plus orchestral – on y entend du saxophone ou du hautbois. Etait -ce une volonté d’enrichir votre rock, même si vous n’êtes pas à votre première expérimentation ?
N.McC. : Il est certain que les cuivres ne font pas originellement partie de l’ ADN de Franz Ferdinand ! Mais ils n’ont fait qu’enrichir et renforcer l’immédiateté de notre musique. Le but était de ne pas retenter l’expérience électronique de Tonight, même si nous utilisons encore des synthétiseurs.
A.K. : L’instrumentation, au même titre que les paroles, aide à transmettre une émotion. Et notre but, c’est ça : toucher en plein coeur celui qui nous écoute. Si nous ne provoquons aucun ressenti chez nos auditeurs, c’est un échec total. Evidemment, nous aimons faire danser les gens… Il faut trouver un juste équilibre, et j’ai l’impression que ce nouvel album y est parvenu.
Pendant la promotion de votre premier disque, en 2004, vous affirmiez haut et fort que votre principal objectif était de faire danser les filles. Ce n’est donc plus tout à fait d’actualité ?
A.K : Quand il s’agit de faire plaisir aux dames, nous sommes toujours partants… Plus sérieusement, notre musique joue sur cette ambivalence : un son qui appelle l’hédonisme, la danse, et des textes de l’ordre du cérébral.
En effet, malgré son rythme up tempo, Right Thoughts, Right Words, Right Action est un album assez sombre…
A.K. : Goodbye Lovers and Friends parle d’un enterrement. C’est d’ailleurs celui de François Mitterrand qui m’a inspiré. Treason ! Animals évoque le sujet également, et dans Fresh Strawberries, l’allusion est à la fois plus poétique et plus directe : la jeunesse passe, et nous avec… Nous sommes aussi fascinés par l’évolution biologique, voire chimique, des êtres humains. D’après ce que disent les scientifiques, l’univers se gonfle comme un ballon depuis le bing-bang, mais devrait un jour se réduire. Les choses ne deviendront pas forcément plus petites mais le temps va revenir en arrière. Imaginez un peu, revivre ses premières amours, et que les derniers instants soient en fait des débuts…
N.McC. : Cette théorie m’a toujours beaucoup plu. Elle est d’un optimisme !
Dans cet album, vous seriez-vous plus livrés que dans vos précédents disques ?
A.K. : Quelque part, oui, mais sans doute parce que notre manière de jouer a retrouvé la spontanéité qui était celle de Franz Ferdinand.
Une fois encore, la pochette de votre album est d’un graphisme dont l’efficacité laisse rêveur… Comment l’avez -vous envisagée ?
N.McC. : D’abord, nous en avions marre de l’orange ! (rires) Je plaisante, mais c’est vrai que nous souhaitions travailler sur du rose et du noir, des couleurs généralement délaissées par les artistes musicaux. Ce que nous trouvons dommage, car cette alliance a quelque chose de magique.
A.K. : L’image est un média comme un autre. Ces quatre flèches sont censées nous représenter en studio, partant chacun dans notre délire, mais nous retrouvant autour d’une seule et même chose : le son de Franz Ferdinand.
Etes-vous toujours aussi allergiques au succès, vous qui semblez vous en méfier depuis toujours ?
A.K. : C’est encore pire aujourd’hui ! Se retrouver avec la grosse tête, ne plus parler à ses proches comme avant, c’est tout simplement horrifiant… Nous n’avons jamais voulu être célèbres. La popularité, nous la cherchons uniquement pour nos chansons. C’est peut-être pour cela qu’on les soigne autant.
Interview: Sophie Rosemont
Photographe: Andy Knowles
Published in DEDICATE 31 – Autumn-Winter 13/14