En France, les discours politiques, d’où qu’ils émanent, à partir du moment où ils adoptent ou récupèrent des thématiques écologiques ¬pourraient avoir la tentation d’une rhétorique qui promouvrait une forme d’hygiénisme voire de détestation de l’humain et donc prédisposer à des programmes ultra-violents.
En effet, nombre de ces dispositions ou propositions fustigent certains de nos comportements privés, provoquant chez bon nombre d’individus, un mic-mac de sentiments ambivalents : la culpabilité, l’impuissance, la révolte, l’indifférence, le désarroi, du dépressif ou de la haine pure et simple de soi et de l’autre. A l’heure où les Verts français n’ont jamais été aussi affaiblis, voici les fondamentaux de cette dérive politique qui flirte parfois avec l’éco-terrorisme…
Les Verts français au plus bas
Aux dernières présidentielles, Dominique Voynet, présidente des Verts, obtient le plus bas score du parti depuis 1974. Fin d’une époque. L’ancrage à gauche teinté d’antilibéralisme, l’égalitarisme, le “oui” au Traité européen, autant de positions qui ne prennent pas sur l’électorat. Au final, la ligne Nicolas Hulot fera école : tous les mouvements (de l’UMP au PC) adoptent dans leur programme une ligne “verte”. Il semblerait cependant que seulement la moitié des Français interrogés considère le risque écologique comme primordial. Le président Sarkozy créera pourtant en juin 2007 un ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, doté de 20 milliards d’euros. Le slogan du ministère est le suivant : “Nos modes de vie, de consommation et de production altèrent la planète et mettent en jeu son avenir” (http://www.developpement-durable.gouv.fr).
L’illusion égalitariste
Albert Jacquard rappelait dès 1985 : “La réponse à la question : ‘combien la Terre peut-elle porter d’hommes ?’ dépend de la sorte d’hommes dont il s’agit. Si ce sont des paysans du Mali ou du Bengladesh, 15, 20 ou peut-être 30 milliards d’hommes pourraient trouver sans trop de difficultés leur subsistance. Si ce sont des Parisiens moyens… […] La capacité de charge de la terre n’est pas une donnée de la Nature, elle dépend de nos comportements : […] il faut décider de prendre ou non au sérieux le mot égalité” (L’Explosion démographique, p. 105). En vingt ans, le mot “égalité” prête à rire jaune : le butoir c’est, par exemple, le taux d’équipements en biens matériels industrialisés qui sert, hélas, de référentiel au “bonheur statistique”. La production exponentielle de téléphones cellulaires (3 milliards d’unités), les procès faits à Nokia, illustrent un autre paradoxe : l’individu est-il responsable de la multiplication des portables polluants ou faut-il s’en prendre aux seuls producteurs ? Existe-t-il une politique industrielle écologique capable de résoudre l’équation à plusieurs inconnues : qui sont les lobbies ? que veut dire “intérêts des plus riches”, quel est ce niveau d’égalité poursuivit à l’échelle mondiale ? Peut-on arrêter de consommer sans risquer la disparition des emplois ? Peut-on en ce cas refonder un discours qui ne soit pas politique puisque ces inconnues renvoient aux multitudes ?
On est trop nombreux
Dire que l’on est trop nombreux et qu’à cause de ça l’on va manquer d’air, de protéines, d’énergies n’avance à rien et repose sur une illusion. Contradiction arithmétique oblige, depuis 1970, la baisse tendancielle inéluctable de la population mondiale est envisageable à condition d’un certain niveau de vie : observable en Europe, au Brésil, en Russie, ce phénomène devrait s’étendre à l’ensemble des groupes de populations d’ici à 2050 (Godin) à condition qu’un certain niveau de vie soit atteint. Or, la dépollution accompagne l’augmentation du niveau de vie (et donc la dénatalité). Enfin, plus un pays est riche, plus il a les moyens de protéger ses multitudes. Il peut aussi proposer aux autres pays égaux de miser sur une forme de moindre croissance (dite “sélective”). La vraie question est : quelle Terre devons-nous choisir pour nos 10-15 milliards d’habitants à venir ? Question de politique, là encore, mais on le voit : ni de droite, ni de gauche.
La tentation néomalthusienne
Appelée aussi “anti-nataliste”. Robert Thomas Malthus (1766-1834), révérend anglais anti-humaniste, opposé aux idées des Lumières, fut le 1er théoricien anti-nataliste convaincu. Aux Etats-Unis, mais pas seulement, les adeptes prônent l’humanicide : la fin programmée, volontaire, ordonnée de l’espèce humaine. Tout repose sur un syllogisme : l’homme est l’ennemi de la Nature, la Nature est menacée par l’homme, il faut détruire l’homme pour préserver la Nature. “Les discours morbides qui étayent ici et là les programmes de nombres de ces groupuscules charrient de nombreux fantasmes à la mode” rappelle le chercheur Paul Ariès. Et de dénombrer leurs programmes anti-procréatif (One Child World, No a Child), les églises anti-humaines associées (Volonteers of the Church of Euthanasia, la plus influente ; l’Eglise du Christ avorteur), le Mouvement pour l’Extinction Volontaire de l’Espèce Humaine (VEMHT), le Front de Libération de Gaïa (canadien), jusqu’à l’hypothétique réseau néo-nazi T4 (né en Suède en 1995) décidé à déclencher une pandémie infectieuse (voir le film catastrophiste de Neil Marshall, Doomsday). Sectaristes, ils sont la plupart du temps antidarwiniens, eugénistes (sélection à la naissance), pro-suicide collectif, cannibalistes (ou carrément végéta-liens), et paradoxalement anti-IVG ! Ils sont surtout pro “race blanche”, car là est le fond du problème : l’occident est menacé ! Mais de quoi ? Les ennemis de la Terre sont les Chinois, les Indiens, les Africains… So what ? Nul doute que certains politiques français, coincés entre populisme et provincialisme, chatouilleront l’électorat avec une forme bien entendu édulcorée de néomalthusianisme.
Les vrais enjeux
“Comment se prémunir donc de toute dérive ou récupération perverse ?” poursuit Paul Ariès. Que l’on soit en France de la tendance Vert Neuilly ou Rouge-Vert (proche du Parti communiste), altermondialiste ou écolo du dimanche, l’écologie deviendra un impératif d’action évident pour toutes et tous, quelle que soit l’origine, le jour où les discours se débarrasseront de leurs emblèmes, devises et symboliques misanthropes et de leurs discours à “double contrainte”. Il faudrait en terminer avec les “promesses illusoires”, de ces commanditaires qui bâtissent leurs discours à coup de fictions, empruntant à la pensée magique, à Dieu, au Destin, à la malédiction, aux prophétismes, à l’eschatologie : le champ politique international subit une invasion par le simulacre. Plus fort, plus “terroriste”, il met religieusement en scène ce que Baudrillard pronostiquait “comme étant le prochain “Crime Parfait” : le meurtre “prémédité » du réel par le virtuel. L’éradication du Vrai au profit de Fictions séductrices ou effrayantes, omniprésentes et interchangeables” (Philippe Kieffer, Rue89). Aussi, arrêtons avec le mythe de la Nature sauvage ou des animaux “meilleurs que les humains” ; cessons d’opposer les religions entre elles (le Coran serait plus écolo que le Nouveau Testament, le bouddhisme serait la Seule Voie, etc.), les bons systèmes économiques contre les mauvais (néolibéralisme = destruction de la planète), les patrons (forcément cupides, malhonnêtes, etc.) aux consommateurs (victime, manipulés, etc.).
Tout ça ramène à l’Éthique : se dire que sur la Terre tout n’est pas possible, qu’on n’est pas des surhommes, qu’on a encore du travail à faire sur soi et que la Nature humaine, si elle existe, eh bien elle ne se change pas avec des discours manichéens fascisants ! Pour une écologie politique moins fatigante, moins polluante pour l’esprit : en France, il serait temps d’y travailler vraiment et faire que le credo du ministère Borloo – “Ensemble, trouvons de nouvelles manières de vivre pour préserver notre planète” – ne soit pas seulement un pensum pour récupérer les sensibilités vertes ou une manière perverse de renvoyer la balle aux seuls citoyens fautifs.
Sources :
Paul Ariès : Pour sauver la Terre : l’espèce humaine doit-elle disparaître ?, L’Harmattan, 2003
Christian Godin : La Fin de l’humanité, Champ Vallon, 2003
Jean Baudrillard, Edgard Morin : La Violence du monde, éd. Félin, 2003
Texte : Philippe Di Folco
Ilustration : www.gwlgrahisme.com
Extrait DEDICATE 16 – Printemps 2008