Lorsque l’on voyage un peu plus loin que dans l’assez uniforme Europe du Nord, que remarque-t-on après les panneaux de signalisation et les architectures typiques ? Une mise en scène différente des marchandises, déchets et autres débris du monde…
Certes, il suffit d’aller voir et respirer Naples et sa province, avec ses milliers de tonnes d’ordures non traitées et illégales pour comprendre que celles-ci sont l’horizon de l’Occident. Mais ces déchets et cet horizon pauvre ne sont-ils pas comme l’effet boomerang du banquet occidental, un après-fiesta ? Le festival Burning Man a mieux compris l’archaïsme dont nous avons à nouveau besoin : tous les ans, dans le désert du Nevada, nuit et jour, se pratique une gigantesque fête déjantée “où enfin tout se consume”, relations éparses et conviviales, architectures, arts, bricolages, déchets nobles. Silence sous l’astre, et retour au sujet : dans la poubelle de chacun de nos petits matins se surprend l’Occident et dans les sables blonds du grand Maghreb et sur les rives du Gange se lit l’occidentalisation, lorsque le sac lactescent et la bouteille plastique flottent dans les airs chauds et les eaux sales.
Au-delà de l’horizon pauvre
Si le pourrissement et la corruption, dans tous les sens du terme, ont à voir avec la pollution, celle-ci n’a pour définition que d’être l’accumulation inconséquente des déchets de l’industrie. Qui est aujourd’hui globale. Sur tous les continents, le monde industriel donne en spectacle à la fois sa décomposition et sa recomposition dans la décomposition et la recomposition (la récup, la débrouille, la réhabilitation et l’art) de tous les objets qu’il a pu produire, faire circuler et rejeter. “Le déchet devient alors le souvenir de cette production, son refoulé”, et la décharge officielle comme le musée ingrat de son essor, et la décharge sauvage comme le vrai visage du capitalisme : maffieux et je-m’en-foutiste… Dès lors, si l’accumulation est le principe et, aussi, le “négatif critique” de l’industrie, l’écologie est forcément négation de l’économie, d’où le retour à la politique : d’abord une critique de la gestion désastreuse et honteuse du monde, puis affirmation de l’écologie politique.
La fin des choses définit celles-ci.
Il y a le déchet naturel et celui culturel. Quel est l’itinéraire du second, celui qui nous importe ? Si nous répondons à cette question, nous répondons à sa “destination” : son origine productiviste, sa disqualification sociale, sa menace écologique. “Il n’est de déchet que dans une civilisation du reproductible, de l’identique, du jetable. La vérité de tout produit est son déchet”, trouve-t-on écrit dans le petit “Manifeste” de l’Internationale déchettiste. Voila peut-être une réponse. Sinon la nature ne vit-elle pas de l’excrémentiel ? Plus exactement, le monde, c’est-à-dire la totalité des phénomènes terriens, ne vit-il pas sur l’excrément, la dévoration et la putréfaction du vivant ? Car la totalité de la vie, c’est aussi bien la crasse, la boue, le pourri. L’industrie humaine a comme accéléré ce processus et, demandant toujours plus à la nature c’est-à-dire la transformant à son image, a fait passer toutes les “choses” de la nature du côté des objets de la culture.
Less is more
A dire vrai, le “problème des déchets”, c’est leur critique-en-acte de nos comportements et de ceux des futurs consommateurs du modèle occidental parce que leur présence même est plus critique que toutes les critiques sur les déchets (d’où l’écologie politique et ces humbles lignes). Le philosophe parlerait de “négativité du déchet”, d’une “négation pratique” de notre mode de vie car, sur le chemin de la production gargantuesque, nous avons “supprimé la possibilité d’une consumation intense (à la mesure du volume de la production) de l’excès des ressources produites” (Bataille). Nous ne savons donc plus que faire du souvenir infect de notre industrie. Alors, nous le conditionnons, l’incinérons et l’enfouissons. Mais rien n’y fait : il y en a toujours plus. Entropie de l’inorganique : de ce qui ne pourrit pas ou “ne peut plus”. Le déchet devient donc une obsession quotidienne, “critique”. Partout il erre, dans l’ombre de la moindre marchandise qui deviendra inutile aussitôt après achat et usage. “Heureusement, les maffieux veillent…”
Texte : David Morin Ulmann
Illustration : Wild Anais
Extrait DEDICATE 14 – Automne 2007