Je retrouve Oscar au Zelda, un bar du 10ème arrondissement où il a longtemps travaillé. Dans les bruits de la nuit parisienne, Oscar se confie, parle de lui et de ses deux romans.
“Zenith Hotel” est couronné à son achèvement après quatre ans de travail, par le Prix de Flore en 2012. Le talent du jeune lauréat sera confirmé par la suite avec la publication de “Demain Berlin”, dont la sensibilité rappelle celle d’une génération à fleur de peau. Lorsque le chimique provoque le réel et que le tragique des faits divers provoque l’empathie. Nous sommes alors témoins de la solitude, constamment plus ou moins accompagnée, de ses personnages. Une façon pour l’auteur de dépeindre une société dans laquelle chacun se perd sans trop de difficulté en se retrouvant alors confronté à une certaine superficialité.
Écrivain à 24 ans comment cela vous est-il venu ?
J’ai toujours voulu l’être et j’ai pris le temps pour, j’ai vraiment commencé à écrire à dix neuf ans, abandonnant Hypokhâgne Khâgne après deux ans de classe préparatoire avec l’idée que je reprendrais un jour. Je n’ai jamais pu le faire, j’ai trop aimé cette vie.
Il y a une chose qui m’intrigue, qu’est-ce que ça fait d’avoir eu le Prix de Flore ?
Bizarre. En fait je savais que j’allais passer une semaine atroce parce que j’étais sélectionné pour le Flore, le Wepler et deux bourses. Ce bouquin dont on avait peu parlé, seulement quelques articles, s’était vendu à 1 500 exemplaires et nous étions déjà contents. Être dans la sélection semblait improbable. Lorsqu’on m’a annoncé la nouvelle, c’était assez étrange mais finalement très cool comme sentiment.
Vous n’avez pas peur d’être classé parmi les poètes maudits ?
Si. Mais au fond, si tu es sincère et je pense avoir essayé de l’être au maximum, ce n’est pas si grave. Je ne vais pas essayer de faire croire que je suis vraiment heureux dans ma vie, quand ce n’est pas le cas. Et puis j’ai essayé d’écrire sur des choses gaies, en vain. Un écrivain a beau raconter les choses les plus glauques qui soient, si ce qu’il dit est vrai, moi ça me fait du bien. Je réalise que le mec met le doigt sur quelque chose de plus que les autres, tout en restant dans une banale réalité. Comme lorsque tu écoutes une chanson triste, par exemple Johnny Cash, oui c’est glauque à crever mais il y a quelque chose qui te prend.
Dans Demain Berlin, dans un premier temps Armand fuit la modernité, puis finit par s’y confronter. De votre côté, que pensez-vous de cette génération 2.0 ?
À vrai dire, pour moi c’était le but de Demain Berlin. Je n’ai à priori jamais vraiment aimé cette génération facebook. L’idée de savoir qu’avant on s’envoyait des télégrammes me plaît mais c’est surtout pour moi un fantasme esthétique car finalement, ce n’est pas une vie que j’ai connue. J’ai grandi avec cette génération 2.0. Tu peux avoir des échanges de textos mortels et je pense que le défi à ce moment là, est justement de savoir y trouver une forme de poésie. Quand tu vas voir le facebook d’une personne qui te plaît, s’il y a deux trois photos ça peut être rigolo, mais quand toutes les heures il y a le suivi de sa vie et ça en continu, c’est quand même moins attirant. Tu n’es plus vraiment intrigué. Mais entre nous, je passe des heures sur facebook. Il n’y a rien sur le mien, car ce que je préfère c’est regarder celui des gens que je ne connais pas. Au début je recevais des friends request auxquelles je ne répondais pas parce que je ne les connaissais pas, aujourd’hui je prends tout. C’est comme si tu te foutais en terrasse, mais derrière ton écran, j’adore.
Finalement, je l’aime bien votre “pute plumitive” de Zenith Hotel, et malgré un petit côté trash dans le style, on m’a fait remarquer que vous aviez une folle gentillesse pour vos personnages . Même les mous sont excusés d’être mous, les durs à cuire ne le sont jamais vraiment, et les drogués sont mignons. J’aime cet équilibre dans lequel vous nous plongez.
Je pense que cela tient beaucoup au regard que je peux avoir sur les gens. Quand tu es tout seul dans un bar, et que tu t’ennuies un peu, parce que finalement tu préfères être là plutôt que chez toi, tu finis par te retrouver avec d’autres mecs qui sont comme toi. Je ne vais pas m’abattre sur leur sort, il faut bien un peu de tendresse. Oui, la vérité c’est que j’ai de la tendresse pour les paumés, et que les autres m’emmerdent. D’ailleurs je me rends compte avec le temps, que toutes les filles que j’ai pu aimer ou mes potes les plus proches, ont tous ce côté un peu écorché.
Au-delà du côté fleur bleue et de votre gueule d’ange, peut-on dire que vous êtes un romantique ? (en littérature bien sûr)
Ah ! Ah ah … oui, j’aimerais bien.
Plus berlinois que parisien ?
Non, complètement parisien, pour moi Berlin c’est la ville de la Mort. J’ai cru que j’allais crever là bas. J’y ai vécu des choses très fortes et c’est ce dont j’ai essayé de parler dans Demain Berlin, alors qu’au départ je me refusais un peu d’écrire sur des trucs à la con comme la drogue et la techno. J’ai adoré transcrire ces sensations, parce que bien qu’elles soient provoquées par des substances chimiques, il n’empêche qu’elles sont vraies. Si tu es plus en forme parce que tu as bu un café, on ne va pas te dire “non mais attends c’est uniquement grâce au café”. Le fait est que tu es plus en forme, point. Tu es ancré dans le réel, le seul souci par exemple c’est que tu peux être très très amoureux, et c’est vrai sur le moment, sauf qu’après tu oublies. Je suis heureux de l’avoir vécu, d’avoir été charmé par le côté romantique de la drogue : la mort et l’idée même qu’on y trouve un côté bohème où l’on se fout de tout. Sauf que tu finis par réaliser que les gens que tu rencontres ne sont pas si intéressants que ça, que tes potes ne le sont finalement pas vraiment, ou alors uniquement parce que tu as en commun et en partage les mêmes substances qu’eux. Donc oui la place du partage est forte, sauf qu’il n’y a que ça. Quand tu arrêtes, il n’y a plus personne.
Et vous demain, qu’est-ce que vous ferez ?
Si je peux écrire, j’écrirais. Et à la fois, c’est ça qui me fait flipper. J’ai rencontré un mec qui me racontait qu’il avait tout sacrifié à la peinture et qu’un jour il n’a plus eu envie de peindre. Et alors, qu’est-ce que tu fais ? Voilà, c’est ma seule angoisse. Pour l’instant, j’ai envie d’y sacrifier ma vie, parce que c’est ce qui me plaît le plus. J’ai arrêté mes études, je me suis engueulé avec des filles. J’ai pris des boulots assez alimentaires, pour ne pas entrer dans un truc qui soit trop chouette et trop confortable, parce que finalement je sais que quand tu as un boulot de merde derrière tu fais tout pour pouvoir te barrer. C’est motivant. Il y a quand même quelque chose d’incroyable dans l’écriture, lorsqu’à un moment tu te dis que tout ce que tu vis peut te servir à quelque chose. Que ce soit vraiment pas cool, ou super chouette, tu te dis que tu vas pouvoir t’en servir, tu y trouves un sens. Et puis mon grand truc en ce moment c’est d’aller chercher l’aventure.
Aller chercher l’aventure ?
Je suis vraiment en train de réaliser que je vais devoir le faire, plus. Mon éditeur me motive à me barrer, arrêter d’écrire un temps pour trouver une certaine fraîcheur. Et au fond je pense qu’il a raison. Je sais que par exemple, aller à Berlin m’a fait beaucoup de bien, pas dans ma vie, mais dans l’écriture.
En parlant de fraîcheur, j’ai entendu parler d’un nouveau projet en gestation ?
En effet, j’ai essayé de me lancer dans quelque chose d’un peu plus conséquent. Il faut lire le Feu Follet de Pierre Drieu, et voir le film de Louis Malle qui est aussi très bien. C’est inspiré de l’histoire de Jacques Rigaut qui s’est suicidé à 30 ans. J’en fais une variation adaptée à notre temps, c’est sur les derniers jours d’un homme.
INTERVIEW & PHOTOGRAPHIE Chloé Bonnie More
Extrait de DEDICATE 30 – Printemps/Été 2013