La plus chic des marques hexagonales fête sa première décennie. Kitsuné, c’est de la mode, mais aussi de la musique, de l’art, et de l’amitié. Retour sur le parcours d’une exception non seulement française mais internationale.
« Renard » en japonais, Kitsuné est né en 2002 grâce aux deux esprits curieux que sont Gildas Loaec et Masaya Kuroki. Aujourd’hui, leur label fait parler de lui grâce à ses choix alternatifs toujours pertinents et grâce à des collections new classic à se damner, celles de la Maison Kitsuné. Gildas Loaec nous raconte tout de cet alliage passionnant.
Tout d’abord, comment avez-vous rencontré Masaya ?
Masaya et moi, nous nous connaissons depuis très longtemps. À l’époque, j’avais une petite boutique de disques à Paris, Street Sound. Elle était en face de Street Machine, un magasin de skate. Tous les jeunes traînaient dans le coin et Masaya passait aussi à ma boutique. Peu de temps après, j’ai commencé à travailler avec les Daft Punk. Quand nous sommes allés au Japon pour Interstellar 555 (le dessin animé lié à leur second album Discovery, ndlr), j’ai demandé à Masaya, qui est bilingue franco-japonais, de venir avec nous. Nous avons sympathisé…
Et Kitsuné a donc vu le jour ?
De fil en aiguille, nous avons réalisé qu’il fallait travailler ensemble sur un projet ambitieux. Vu que nous aimions autant la mode que la musique, pourquoi ne pas faire les deux en même temps ? Mais sans négliger l’un ou l’autre. Il fallait faire un vrai label et une vraie maison de mode, sans tomber dans le piège du merchandising de disques. Même si la musique et la mode ont toujours été liées, nous sommes aujourd’hui encore les seuls à faire ce qu’on fait. Car c’est un vrai challenge !
La musique made in Kitsuné, c’est quoi ?
Soutenir les artistes. Même underground, un bon label doit marquer son temps. C’est la quête ultime de la chanson qui va toucher un public très large. Notre but, c’est de passer à la radio ! Et nous nous donnons les moyens de le faire. Des singles de La Roux ou des Klaxons sont allés très loin en Angleterre. Déjà réputé, Two Door Cinema Club peut cartonner sur un second album. Is Tropical, qui est un projet un peu plus indé, tourne bien. Citizens est un projet que nous lançons en ce moment et qui fait partie des groupes à suivre en 2012 par le NME. Son potentiel est énorme. Pareil pour Housse de Racket, un groupe incroyable sur scène que nous développons de plus en plus à l’étranger.
Comment choisir un artiste ?
Nous sommes très sollicités, mais je ne souhaite pas en signer trop afin d’avoir vraiment du temps à accorder à chacun. Les bonnes questions à se poser, sont : est-ce qu’il y a des vraies chansons ? Est-ce qu’il y a un style bien défini ? C’est comment sur scène ? Peut-on s’entendre à long terme ? Car entre l’enregistrement, la sortie de l’album et la tournée, on peut passer quatre ans à travailler ensemble…
Côté mode, quelles étaient les grandes lignes originelles de ce qu’est devenue Maison Kitsuné ?
Nous sommes autofinancés, contrairement à beaucoup d’autres marques françaises : nous n’avions pas leur expérience familiale ni leurs moyens. Notre parti pris, qui n’a pas changé depuis, c’était de faire attention à nos matières et au lieu de fabrication. En effet, les Japonais sont des consommateurs très avertis. Quand un pull arrive en 5 couleurs à Paris, il en existe 42 à Tokyo ! Or, étant proches du marché asiatique, ils se sont retrouvés avec des produits créés en Chine. Même les grandes marques qu’ils adorent ne fabriquaient plus en France… C’est comme cela que nous avons eu l’idée d’être une marque française ET exigeante.
Vos lignes sont d’une simplicité admirable. Vous avez donc pris le risque de ne pas prendre de risques ?
Nous n’étions pas là pour inventer, ni pour obéir aux tendances. Nous refusons cette course de la mode en créant une marque new classic et hors du temps. Grâce au marché japonais, nous avons pu développer notre ligne. En 2012, nous ouvrons à Séoul, à NYC, tout en restant indépendants. Beaucoup de marques ont mis cent ans à se faire, n’est-ce pas ? Nous prenons notre temps.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’être trop classiques ?
Nous nous concentrons sur l’essentiel en répondant avant tout aux besoins des acheteurs : un jean bien coupé, un joli cardigan dans une belle matière, une chemise à carreaux seyante, etc. Dans quelques années, nous envisagerons peut-être d’être plus radicaux.
Kitsuné est aussi très proche de l’art. Depuis deux ans, c’est Jean-Philippe Delhomme qui dessine vos campagnes… Pourquoi lui ?
Avec Masaya, nous étions très fans. Je me suis dit que ça pouvait être réciproque, je lui ai écrit un mail… Et ça a collé ! Jean-Philippe possède un style que l’on pourrait qualifier d’unique. Il s’amuse des travers des gens, du ridicule de certaines de leurs postures. Quand nous sommes avec lui, il s’assoit toujours à un endroit d’où il peut observer les autres… De plus, c’est aussi un passionné de musique, comme nous.
Et avec André, qui a dessiné la pochette du deuxième volet de la compilation Kitsuné Parisien ?
Une vraie connexion, là aussi, même si rien ne nous rapprochait à priori. Je viens de la campagne, au nord du Finistère… Je ne savais absolument pas ce qu’était le street art. Mais à mon arrivée à Paris, à l’âge de 20 ans, il y avait des « Monsieur A » partout et j’ai découvert l’art d’André. Un peu plus tard, nous nous sommes rencontrés et nous sommes très bien entendus. C’est un artiste charismatique qui s’est fait tout seul, qui a vraiment évolué dans la rue. Et c’est le roi de la nuit car il sait créer des endroits qui fonctionnent.
Vous venez d’ouvrir une première boutique à New-York, au NoMad hôtel. Un rêve d’enfant ou un simple hasard ?
Nous étions plus concentrés sur l’Asie jusqu’à cet heureux concours de circonstances. Ce nouvel hôtel, très élégant, est situé à l’intersection de Broadway et de la 28e rue, dans ce quartier appelé le NoMad (North of Madison). Ils sont venus nous chercher parce qu’ils voulaient quelque chose de français, de chic, pas encore très connu. Nous étions tout ça ! Masaya l’a pensée comme un appartement haussmannien avec du parquet, des moulures et des miroirs… Nous en profitons aussi pour créer des collaborations exclusives avec Michel Viven ou JM Weston. Nous sommes prêts à vivre notre grande aventure new-yorkaise !
Kitsuné en trois mots ?
Qualité, sincérité, passion. La qualité parce que ce qui nous intéresse, tant en mode qu’en musique, c’est de proposer de belles choses, afin que les gens y adhèrent et puissent en parler autour d’eux. La sincérité parce que nous y croyons vraiment. Nous nous investissons beaucoup dans le respect de ceux qui nous aiment. La passion parce que nous y passons tout notre temps. Kitsuné, c’est notre vie !
Interview : Sophie de Rosemont
Photographie : Simon Chan
EXTRAIT DEDICATE 28 – Printemps/été 2012