Avec son oeil clair, son allure fragile et ses airs de rockeur désoeuvré, Christopher Owens s’est tout naturellement imposé au sein de la scène alternative californienne. D’abord avec son groupe Girls, ensuite en solo. Son nouvel album, A New Testament, explore étonnamment le terrain déjà conquis de la country. Et c’est une réussite, comme tout ce que fait le songwriter américain depuis la fin des années 2000… Rencontre.
La première fois que l’on avait rencontré Christopher Owens, c’était lors des débuts du groupe Girls, auquel on avait succombé : le rock y était rétro, le chant à la fois cassé et nerveux. D’une douceur et d’une amabilité non feinte, Christopher ressemble à sa musique et se livre sans arrière-pensées. Malgré le succès grandissant de ses albums, il n’a jamais changé. On l’a interviewé à plusieurs reprises, déjeuné avec lui autour de sandwiches bios, venu l’applaudir sur scène et, en le voyant évoluer au fil des années et des disques, l’évidence nous est apparue : ce garçon-là est surdoué.
Après une enfance traumatisante passée dans une secte à laquelle avaient adhéré ses parents, balloté de ville en ville et de pays en pays, une fugue à l’âge de 16 ans où il retrouve son pays natal, les Etats-Unis, puis des débuts laborieux dans le rock indé, il va de mieux en mieux.
Comment vas-tu ?
Bien. Je dirais même : mieux que jamais ! Honnêtement, qui aurait cru que je m’en sorte aussi bien ? Le bonheur de ma vie actuelle dépasse tout ce que je pouvais imaginer pendant toutes mes longues années de déprime.
Depuis combien de temps pensais-tu à essayer le genre country ?
Cela faisait longtemps, même avant Lysandre, que l’idée me trottait en tête. J’ai vécu au Texas, le fief de la country, et j’y ai appris à aimer la musique. Roy Rogers, Patsy Cline, Dolly Parton, Loretta Lynn… Faire un album country, c’était un challenge assez amusant. Dans les chansons de Broken Dreams Club, il y avait quelque chose de country déjà, cela n’est pas arrivé de nulle part. J’ai toujours des chansons en stock, il a d’abord fallu choisir celles qui me semblaient les plus appropriées au genre. Avec les sujets sentimentaux de mes chansons, leur simplicité, pas mal d’entre elles collaient à l’esprit de la country. Mais très vite, le problème a été de trouver des musiciens, en particulier un guitariste de pedal steel. Cela n’a pas été une mince affaire.
Pourquoi donc ?
Parce que c’est un instrument compliqué, qui demande beaucoup de temps d’apprentissage. J’ai essayé de le trouver par mes propres moyens et non par un studio. Finalement, c’est le groupe Phoenix qui m’a présenté Eddie Efira dans les coulisses d’un concert au Hollywood Bowl. Il vit à Palo Alto, près de chez moi, et je lui ai envoyé quelques chansons à écouter. Le lendemain, il a accepté de se lancer dans l’aventure. Une première victoire !
Tu ne t’es jamais autant entouré que sur ce disque.
J’avais besoin de ça. Le genre l’exigeait également. J’ai donc fait le tour des musiciens avec qui j’avais travaillé dès Girls, pour l’album Father Son Holy Ghost. Ils se connaissaient tous, et ces trois semaines d’enregistrement, en octobre 2013, ont été vraiment fun. L’album mélange beaucoup d’influences, propose de la country mais aussi du rock ou de la soul. Les musiciens ont apporté chacun de leur marque de fabrique. C’est pour cette raison que je leur ai demandé de poser à mes côtés sur la pochette.
C’est assez généreux de ta part !
… Je crois que c’est normal, et puis après tout, je suis suffisamment pris tout seul en photo comme ça, ça ne m’a pas manqué ! (rires)
D’ailleurs, as-tu des nouvelles d’Hedi Slimane ? L’un de tes portraits fait partie de son exposition, à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent…
Oui, il m’a justement appelé récemment pour me parler de ce nouveau projet. Nous n’avons pas travaillé ensemble depuis la campagne de Saint Laurent mais nous nous voyons en amis, lorsqu’il passe à San Francisco. De quel portrait s’agit-il ?
Celui où tu poses torse nu, un coeur dessiné sur ton coeur… Elle date d’avril 2011.
Je m’en souviens très bien ! Cette photo est la première que nous ayons faite ensemble. C’est aussi la première fois que je montrais ma poitrine… Ce geste m’a aidé à combattre ma timidité et ma pudeur, je suis plus à l’aise avec mon corps aujourd’hui.
Peut-on considérer cet album comme une déclaration d’amour aux Etats-Unis ?
Oui, cet album est volontairement très américain. Etant parti en Angleterre à l’âge de deux ans, je n’ai pas grandi aux Etats-Unis… Je ne suis revenu qu’à mes 16 ans, et je suis d’autant plus marqué au fer rouge par cet American Dream qui m’a permis de me libérer.
Tu t’es installé à San Francisco il y a quelques années de cela. Envisages-tu d’en partir, toi qui a si souvent déménagé ?
Surtout pas ! J’ai mes proches ici, je me sens chez moi, pour la première fois de ma vie… San Francisco est de plus en plus chère mais je vis avec ma petite amie chez sa mère et c’est un mode de vie qui me convient parfaitement. Certains de mes amis sont partis à Los Angeles car c’est là qu’il y a le business, des maisons avec des jardins à prix abordable… Mais être en voiture toute la journée, je ne pourrais pas.
As-tu hâte de remonter sur scène pour défendre A New Testament ?
Je suis particulièrement impatient. D’abord parce que je vais partir avec presque tous mes musiciens, nous serons sept sur scène. Nous allons faire des petites scènes mais aussi des festivals. Avec cet album, très live et immédiat, je me sens prêt à me frotter à ce genre d’événements. Je vais beaucoup m’amuser sur scène, entre les solos de guitare et l’orgue !
Au fait, as-tu revu Chet “JR” White, ton acolyte de Girls, dont tu t’es séparé en 2012 pour mener ta carrière solo ?
Avec lui, ça va mieux. Nous nous entendons bien. Il est en studio, il enregistre… Il est plus heureux qu’avant. Pendant Girls, il n’aimait pas être sur scène, d’après moi… Ce qui est très compliqué quand on doit assurer la pérennité et la vitalité d’un groupe !
Malgré les heurts qui vous ont opposés, tu ne sembles avoir aucune rancoeur ?
C’est mon gros problème dans la vie : prétendre que rien n’est arrivé. Je me suis toujours dit que c’était mieux d’oublier les mauvaises choses. Quand j’ai eu des soucis de drogues, je me disais que ce n’était rien… J’essaye de ne pas trop me plaindre, de laisser les choses aller. Est-ce une bonne méthode ? Je n’en sais rien, mais c’est la mienne!
Peut-on parler de la pochette d’A New Testament, à la fois évidente et kitsch…?
J’ai voulu faire quelque chose de simple et d’efficace. Comme le titre. Sans fioritures, sans double sens ou allusion à tel ou tel artiste. Je crois qu’il faut juste dire les choses comme elles sont, jouer sur des formules déjà existantes, comme je l’avais fait avec Lust for Life ou Father Son Holy Ghost. Mais ici, il fallait que ce soit transparent. Limpide. Côté esthétique, c’est plus facile de faire quelque chose d’abstrait, de flou ou qui nous rappelle un groupe quelconque des années 90. Mais cela m’ennuie profondément.
Vas-tu continuer dans cette veine country ?
Girls a connu une progression naturelle vers l’orchestration, disque après disque. En solo, j’ai cultivé un certain foisonnement instrumental – d’ailleurs, j’aimerais un jour me produire sur scène avec un orchestre national. Mais la période Lust For Life, plus rock, me manque… Je vais sans doute revenir à l’électrique!
Photographie: Romain Staros Staropoli
Interview: Sophie Rosemont