De retour avec My God Is Blue, un rêve bleu synthético-orchestral des plus psychotropes, le chantre de la pop française nous épate une fois encore. Si nous nous aimions tous davantage, le monde entier serait bleu, et Tellier en serait le roi. Indétrônable. Retour sur un parcours hors pistes.
Quatre albums indispensables. D’abord, L’Incroyable Vérité (2002), écrin sombre et hypnotique, au minimalisme paradoxalement orchestral. Puis Politics (2004), opus éclectique et désordonné, brillant de mille feux grâce à « League Chicanos », « Broadway » ou le chef-d’œuvre « La Ritournelle », qui fit connaître Sébastien Tellier à sa juste valeur. Ensuite, ce fut au tour des Sessions acoustiques (2006), rehaussées d’une reprise à se damner de Christophe, « La Dolce Vita ».
Le piano est roi, tout comme le chant, pénétrant, de Tellier. Même avec sa cigarette dans le nez. En 2008, Sexuality l’intronise dieu d’une sensualité débridée mais exigeante, fouillée mais cérébrale. Comme sa musique devenue presque exclusivement électronique. Aujourd’hui, c’est My God Is Blue. L’Alliance Bleue, rêve d’un Tellier devenu gourou. De l’amour, évidemment… Son projet est fou. Ce nouvel album aussi.
La confirmation d’un génie, hors des frontières et hors des limites. Mesdames et Messieurs, le temps est venu d’écouter la bonne parole de Sébastien Tellier. À genoux.
Comment ça va ?
J’ai rarement été aussi bien. L’album va bientôt sortir, l’Alliance Bleue se créée… J’exulte. Mes rêves prennent forme.
L’Alliance Bleue… cela a été une révélation ?
Avant de faire My God Is Blue, j’avais déjà en boîte un album fruits et légumes, un album jardinage… Je m’étais amusé, mais ce n’était pas franchement intéressant ! Du point de vue créatif, j’étais vraiment perdu. Et puis il y a eu l’été 2010. Un soir, j’ai pris des drogues et mon trip était bleu. C’est devenu la source d’inspiration principale de cet album. Je composais et tout en écrivant les textes, je découvrais ce que je pensais moi-même. Pourtant, je n’avais jamais parlé de spiritualité avant.
En l’espace de trois ans, tu t’es donc réinventé ?
Je fais des albums assez espacés les uns des autres. L’artiste détient en lui une sève qui s’écoule quand on la récolte. Or, elle n’est pas infinie. Il y a un moment où ça s’arrête. Ça, je ne veux jamais le vivre. Alors j’espace pour tenir jusqu’à ma mort. Et j’essaye aussi d’être une autre personne avant de refaire un disque. J’ai changé d’appartement, de voiture, de vêtements, de matériel. Je n’ai pas changé de femme, cette fois-ci, car j’étais trop bien. Mais je suis devenu quelqu’un d’autre.
Et cela t’a rendu heureux…
Pendant longtemps, j’ai été dépressif. Vers 31 ans, ça s’est effacé. Le succès de Sexuality m’a libéré de mon malheur. Le bonheur m’a donné des ailes, il m’a amené au spirituel. J’ai eu envie de survoler les choses, de ne pas parler du quotidien, mais d’autre chose. Autre chose de mieux. La philosophie est même devenue trop concrète. À force de réfléchir sur ce qui est bien ou pas, on s’empêche de s’envoler. Le monde est trop petit. La religion est une sorte d’échappatoire : fantasmer le fait que Dieu existe, ça, ça fait vraiment rêver. Jusqu’ici, j’ai parlé de la famille, de la politique, de la sexualité, des choses qui comptaient. Aujourd’hui, c’est Dieu.
Comment dire vrai en faisant partie de la société du spectacle ?
Le spectacle, par définition, c’est surtout faux. Mais j’ai envie de construire un spectacle sur une vérité. La spiritualité m’a fait accepter les défauts du monde, les miens aussi. Le jour où j’ai arrêté de maudire ceux qui me faisaient du mal, j’ai respiré. La vie est violente, la société sans amour. Penser aux étoiles, ça fait relativiser…
Mais tu te donnes, toi, en revanche…
Je suis là pour m’offrir ! À chaque fois que je m’exprime, c’est sincère. J’essaye d’être plus vrai que les autres… en étant pourtant plus détaché. La vérité doit aller au-delà de la petite réalité du quotidien. « J’ai marché 500 m », « j’ai mangé des frites »… Je ne juge pas ce que font les autres, mais ce n’est pas ce que j’ai envie de raconter.
N’est-il pas trop difficile d’être seul dans sa catégorie ? D’être inclassable ?
Au début de ma carrière, on était à fond dans la dance, il y avait le second album des Daft Punk, tout ça. J’étais en totale contradiction car mon premier album n’avait pas de batterie… On ne savait pas où me classer, car ce n’était pas du rock, du jazz ou du rap… Là où j’ai beaucoup souffert, ça a été au moment de Politics. Mon album parlait d’humanitaire, donc de politique. Il a été complètement incompris. Heureusement, le monde m’a quand même ouvert les bras pour « La Ritournelle », la seule chanson d’amour du disque. Ça a été le début de quelque chose de bien et ça m’a évité de me tirer une balle dans la tête. Je suis quand même allé en hôpital psychiatrique… Mais je suis fier d’être libre et de faire des trucs originaux.
Retournons en arrière… Comment est né Sébastien Tellier ?
Pas dans le 16e comme je l’ai toujours dit… Au Plessis-Bouchard, en banlieue parisienne, dans le 95. Dans la même clinique que Lorie ! Ensuite, j’ai grandi à Cergy-Pontoise, ville nouvelle basée sur le schéma américain. Petits lotissements où toutes les maisons sont les mêmes, petits centres commerciaux. Ma mère est directrice d’école pour enfants surdoués et a beaucoup apporté à l’éducation. J’étais comme un cobaye pour elle… Mon père était musicien, il a du prendre un vrai métier à ma naissance. Il voulait que je sois également musicien et contrairement à beaucoup d’autres, j’ai vraiment été poussé à le devenir. Mais l’ambiance n’était pas funky, personne ne me faisait rêver dans ma famille…
Quand as-tu commencé à jouer ?
J’ai eu ma première guitare vers 6 ans. Puis une batterie, des synthés, un piano… À l’âge de 12 ans, ma chambre était déjà un vrai studio où j’enregistrais mes propres chansons et où je jouais des reprises : Led Zeppelin, Pink Floyd… Je me suis coupé des autres. Je préférais faire de la musique que du foot. Ensuite, ado, j’ai eu des petits soucis de mon âge… Puis je me suis retrouvé à Paris, tout seul. Je n’avais pas un sou, même pas pour prendre le métro. De 18 à 25 ans, j’ai passé mon temps à penser, sur mon très inconfortable canapé. Je me demandais ce que je pouvais proposer d’intéressant. Et j’ai construit mon personnage de Sébastien Tellier. La barbe, les cheveux longs, des chansons qui ressemblent plus à des pensées qu’à des sensations… Pendant sept ans, je me suis préparé à sortir un disque.
Et tu as fini par rencontrer AIR…
Une nuit, j’ai vu le clip de « Sexy Boy » à la télévision. Je me suis complètement retrouvé dans cette musique. Je suis allé voir la maison de disque de AIR pour leur proposer mes maquettes. Tout de suite, ils ont voulu me signer. J’ai commencé sur les chapeaux de roues : la première partie de AIR en tournée mondiale. Mon premier concert, c’était à Dallas, devant 3000 personnes ! Je me mettais à côté du chauffeur dans le bus, je me voyais arriver dans la ville… J’ai découvert le monde comme ça, car je venais d’une famille qui voyageait très peu. J’étais dans un climat d’immense réussite, avec ma petite musique underground, sans tubes. C’était trop pour moi, et c’est pour ça que j’ai pris autant de drogues à cette époque. J’étais perdu…
As-tu connu de vrais problèmes avec la drogue ?
La drogue, ça n’a jamais été une obsession. Je n’ai jamais aimé ça. Mon trip bleu, c’était la première fois que j’étais vraiment transporté. J’ai pris de la drogue par auto destruction, par esprit de revanche sur la vie qui ne me donnait pas ce que je voulais.
Puis est venu le temps de Politics…
Après la tournée avec AIR, je me suis retrouvé chez moi, seul. Je suis passé du faste à la médiocrité. Je ne savais plus quoi faire et j’ai eu l’idée de composer Politics. C’était dans un studio à l’abandon, sans chauffage, avec des rats, il n’y avait qu’une seule lampe pour 200 m². Un calvaire… Des années plus tard, j’ai fait Sexuality avec Guy-Homen des Daft Punk, dans un studio au chaud, avec du café. J’ai rencontré ma femme, aussi. J’ai adoré cette période, défendre cet album, faire la tournée…
Il y a aussi eu la parenthèse enchantée des Sessions…
C’est mon premier number one ! À vrai dire, je l’ai fait pour m’amuser en une journée de studio. Grâce à la reprise de « La Dolce Vita », j’ai rencontré Christophe. C’est mon chanteur français préféré. D’habitude, j’essaye de jouer sur les reliefs dans ma musique, je veux que ça ressemble à la cordillère des Andes, au Mont-Blanc ! Mais parfois, il faut écraser ses chansons, en enlevant les arrangements, les chœurs, en les rendant nues. Quand on joue les titres de Daft au piano, c’est très joli… C’est aussi cela que je voulais prouver avec Sessions.
Et aujourd’hui, My God is Blue. Ce n’est pas un album comme les autres, n’est-ce pas ?
My God is Blue, c’est mon album le plus travaillé, le plus sauvage, le plus expérimental, et étrangement, mon album le plus rassurant. Je sais que Houellebecq et beaucoup d’autres artistes ont parlé de sectes. La différence, c’est que moi je la vis. Et je vais chercher dans des contrées musicales qui n’ont pas encore été explorées. Je recherche des terrains, des manèges, des animaux, des montagnes… Comme a pu le faire Michael Jackson avec son parc perso, mais ce serait pour les adultes.
En quoi My God is Blue rassemble-t-il les albums précédents ?
À chaque album, j’ai essayé de me renouveler du mieux que je pouvais. Mais ici, je ne me suis pas interdit de refaire comme avant. Je me suis libéré de mon passé tout en gardant le meilleur. L’Alliance Bleue ne se focalise pas seulement sur l’avenir, elle accepte le passé en le détruisant : il faut se renouveler pour aimer celui qu’on était.
Dans une récente interview, tu dis qu’il faut « tout oublier ». Il faudrait commencer par quoi ?
Sa famille. Pour être soi-même, il faut oublier son père et sa mère. Beaucoup de gens voudraient être acteurs pornos ou drogués mais ils ne peuvent pas, il y a les parents… J’aime ma famille, mais je ne veux pas de leur regard. Il y autre chose à oublier : les moments où l’on ne sourit pas. Il faut oublier sa peine, ses angoisses. Quand on pense à ce qui est négatif, on réfléchit moins bien.
www.myspace.com/sebastientellier
Interview : Sophie Rosemont
Photographie : Alexandre Brunet
EXTRAIT DEDICATE 28 – Printemps-Été 2012