Entre Safari Disco Club et le nouvel album Complètement Fou, trois ans se sont écoulés durant lesquels vous avez continué à tourner autour du monde. Combien de temps à pris concrètement l’écriture du nouveau disque ?
Nous avons tourné pendant un an pour Safari Disco Club puis on s’est reposé… L’album a ensuite pris environ un an et demi. On a fait 3 sessions aux US sur cette période, d’environ trois semaines/ un mois à chaque fois, pour travailler avec Dr Luke et d’autres producteurs de sa team. On revenait en Bretagne entre temps et on avançait sur les instrus mais aussi sur les paroles.
A quel moment la rencontre avec Dr Luke s’est-elle faite et comment ? Les chansons étaient-elles déjà composées ?
Il y a quelques années Katy Perry nous a demandé un remix d’une de ses chansons, Hot’n Cold, remix que Luke avait beaucoup aimé – il avait composé l’original -. Il s’est intéressé à nous, est venu nous voir en concert à Los Angeles, mais sans venir nous parler. Il est très timide ! On a appris qu’il aimait notre musique et on s’est vite retrouvé connecté sur Skype ! On a alors commencé à s’échanger des fichiers, des démos de morceaux. ‘Un Jour Viendra’ par exemple a été conçu de cette manière, à distance. Il nous a ensuite invité chez lui à Malibu et nous avons fait plusieurs sessions ensemble en studio.
De quelle façon avez-vous travaillé avec lui et ses collaborateurs ?
Luke est un compositeur mais aussi un directeur artistique. Il aime s’entourer de producteurs de talent, toute une team de gens super doués, tous très gentils. C’était vraiment super agréable de bosser avec eux. Mais si Luke délègue, il passe aussi beaucoup de temps en studio ; il aime vraiment ça, composer, peaufiner. C’est un vrai travail d’équipe en fait, cela se fait de manière assez naturelle. On est parfois parti d’ébauches de prods à nous, parfois des leurs, et parfois de rien… On se dit par exemple “tiens quel ppm a-t-on envie d’entendre ?”, “On pourrait faire ça comme ligne de basse” etc… Les choses se construisent au fur et à mesure, simplement. Luke cherche tout le temps des accords sur sa guitare, des lignes de chant, des mélodies.
Robe Julien David
Le résultat est vraiment probant ; on sent la patte Dr Luke et pour autant, on est bel et bien et toujours chez Yelle. Avez-vous eu peur à un moment d’être vampirisés par un producteur américain aussi frontalement FM ?
Il faut savoir que GrandMarnier est impliqué dans chacune des chansons. Il est le producteur principal des albums de Yelle depuis toujours. La rencontre avec Luke and co est donc une véritable collaboration. On a ouvert le cercle et on est super contents, le ping-pong créatif s’est avéré hyper stimulant.
Vous étiez trois sur le précédent album, qu’advient-il de Tepr sur ce nouvel opus ?
Tepr n’apparaît pas sur cet album. Après la tournée éreintante de Safari Disco Club, il a décidé de se concentrer sur son projet solo, qui devrait sortir bientôt.
Quelle va être la nouvelle formation scénique du coup, à l’orée d’une grosse tournée mondiale ?
Deux batteurs (GrandMarnier et Franck, un ami briochin…oui, de Saint Brieuc !), un ordinateur, et moi. Donc un show très visuel et très rythmique !
Vous bossez avec un scénographe ?
Non on prépare tout tout seul en ce moment même ! On aimait l’idée de 2 batteries, du côté très symétrique que ça engendre, cet effet miroir entre les garçons. On bosse actuellement avec Jean-Paul Lespagnard sur nos nouvelles tenues de scène mais c’est encore top secret !!!
J’ai lu que Candide de Voltaire avait été une influence durant l’écriture du disque. La spontanéité est un élément cher à Yelle, récurrent. Comment reproduire cette candeur sur chaque disque ?
Je pense que c’est profondément mon tempérament, j’aime la vie et je suis naïve. GrandMarnier sait capter ça, on s’harmonise d’un seul et même mouvement !
Il est aussi question de Stendhal dans l’album, ou plutôt du ‘syndrome de…’ ; ce vertige devant la beauté. Florence en Italie, c’est un peu votre Week-end à Rome ?
Ce serait surement un peu prétentieux de dire ça mais on est particulièrement fier de cette chanson. C’est la première fois qu’on parle d’un lieu d’une manière très descriptive, très référencée. C’est un peu notre Loguivy-de la-mer – une chanson de François Budet, mon papa ! – .
On imaginait Yelle davantage séduite par des villes branchées ?
Nous avons fait un concert pour Kitsuné à Florence l’année dernière et eu un énorme crush pour cette ville, mais il y en a plein d’autres qu’on adore bien sûr, NY et Tokyo en font partie.
Manteau & chaussures Jil Sander, collier Edda Bongo
La Jeune fille garnement du disque, c’est toi Julie ?
Je suis quelqu’un d’acharné mais ça n’est pas moi non, je n’ai pas toutes ses arrière-pensées !
Là encore, la chanson fait un peu ricochet au Bébé Vampire de Lio. Votre amour de la french pop semble indéfectible ?! Tu en as marre des fois qu’on te compare à elle?
Si il y a un clin d’oeil dans cette chanson, c’est plutôt au Bébé requin, de France Gall en fait.
Et t’en pas marre de découvrir des artistes avant tout le monde (Yoann Lemoine aka Woodkid ou encore Madeon) ?
Ah ah ! C’est vrai qu’on rencontre souvent des gens qui vont loin dans leur développement personnel et artistique, c’est plutôt cool ! Après, ces talents existeraient sans moi hein !
Grand Marnier et toi êtes restés très attachés à votre Bretagne natale, vos racines, voir même à la nature. Yelle est pourtant complément ancré dans l’air du temps. Comment restez-vous connectés ?
Tout le monde est connecté de la même façon désormais et on a la chance de voyager beaucoup. La Bretagne, c’est notre “this must be the place”, notre fontaine! C’est tellement cool la vie ici, sans dec.
C’est l’endroit qui vous inspire le plus pour créer ?
C’est en effet le meilleur spot pour se recentrer et reprendre des forces. C’est aussi un coin apaisant et inspirant oui, même si on a découvert que l’on pouvait créer ailleurs – mais toujours dans une situation où l’on se sent bien -. En revanche on a du mal à composer sur la route. On a besoin de quelques repères et surtout, être en tournée est vraiment intense. On préfère s’y consacrer et vivre chaque chose en son temps!
Vos lyrics sont souvent doux-amer, sucré-salés; vous aimez cette dualité ?
Oui, le double sens fait partie de notre façon de nous exprimer. Jouer avec les mots, faire ressortir différentes significations dans une même phrase, selon le contexte dans lequel tu l’écoutes, c’est intéressant et ludique. En même temps, on s’en rend souvent compte après coup, ce n’est pas forcément calculé. Dans Ba$$in par exemple, “fais des ronds avec ton bassin” peut aussi vouloir dire “fais de l’argent avec tes fesses” ! C’est assez drôle.
Vos compos sont aussi rétro-futuristes, c’est là encore le résultat d’opposés. Certains titres sont plutôt 80ties, d’autres influencés par les années 90, et pourtant la production est toujours ultra edgy. Là encore, petite schizophrénie ?
On veut volontairement faire avancer le schmilblick et en même temps on est attachés à des références de notre passé, des sonorités, des ambiances. C’est cool si le résultat de tout ce mélange sonne “unique”. Cela vient aussi et surtout du fait qu’on écoute beaucoup de choses très variées ; de la pop française ou anglo-saxonne, du rock, du rap, du classique, du jazz, même du traditionnel (la Bretagne!). La pop française de Daho, Souchon, Elli & Jacno, Lio ou Chagrin d’Amour, ça nous suit sur tous nos albums. Je ne saurais pas vraiment dire ce que l’on a écouté en particulier pendant la composition du nouveau disque… mais un paquet de de trucs en tous cas.
Veste Acne Studios
Sur le titre Coca Sans Bulles, qui se passe pendant une fête, tu sembles ne pas vraiment savoir si tu t’amuses ou pas. On sent que tu cherches presque à te convaincre que si. C’est un feeling que tu ressens parfois ?
Oh oui comme tout le monde ! Il ne faut quand même pas se voiler la face, la moitié des fêtes dans lesquelles tu vas sont un peu nulles…
Vous allez toujours en clubs ?
Oui on sort toujours bien sûr! On adore danser l’un comme l’autre alors quand l’occasion se présente, on y va !
Tu trouves pas que l’époque est peut-être un peu trop hédoniste et que ça cache quelque chose de louche, de plus grave ? Un peu comme vos textes d’ailleurs, assez happy-sad.
Complètement d’accord, l’époque est chelou, ça fait un peu peur mais j’ai l’impression que pour le moment c’est juste un chaos, une foultitude de points d’interrogation, et que tout ça va se décanter, qu’on va comprendre les choses bientôt. Je reste néanmoins hyper optimiste et même si on a toujours envie à un moment d’évoquer des choses plus profondes ou tristes dans nos chansons, je suis quelqu’un de joyeux avant tout.
Tu as co-écrit certains textes avec Jerome Echenoz (aka Tacteel, du groupe TTC, ndlr). Tu peux nous parler un peu de lui et de votre collaboration ?
Jérôme a sorti un EP qui nous a beaucoup plu, Le chrome et le coton. GrandMarnier le connaissait à l’époque d’Institubes et a renoué contact avec lui pour parler de nos nouvelles chansons. L’entente a été parfaite, il est venu chez nous, on a fait des sessions d’écriture en mangeant des crêpes, on est devenu un super potes !
“Nos états sont unis, baisons comme de bons amis” / “je te précipite dans la chute de mes reins” / “j’ai massé tout ton corps à la force de ma bouche” / …Le nouvel album est très charnel, voir sexuel. Question freudienne : consciemment ou pas ?
On aime beaucoup le contact physique oui ! Pas toi (rires) ? C’était en tout cas complètement spontané et sans limites ! On a souhaité écrire de la même façon qu’on parle, c’est à dire de tout et de manière parfois assez frontale, c’est vrai. Nous ne nous sommes pas dit “on va faire un album sexy”, mais on s’est laissé toute la liberté et la latitude dont on avait envie dans l’écriture. Ce n’est qu’à la fin qu’on a constaté qu’on parlait quand même beaucoup de sensualité !
Pourquoi vos titres Nuits de Baise (Part 1 et 2) sont-ils si courts ? Presque des interludes. Vous n’aviez pas envie de faire durer le plaisir?
C’est la première fois que Yelle s’essaye à ce principe d’interludes ; penser “album” dans sa globalité et pas juste “successions de chansons”. On trouve ça cool d’avoir ces respirations, et éventuellement aussi… de frustrer un peu.
Julie dans une interview récente tu parlais de bisexualité. Tu as l’impression que les lignes bougent ? Est-ce qu’il serait complètement fou selon toi d’imaginer un jour un monde entièrement bisexuel ?
Je pense qu’on est tous un peu comme ça, tout dépend des rencontres que tu fais. J’aime croire qu’on peut être attiré par les gens de manière générale, aimer quelqu’un dans l’absolu. Pour ma part, je n’ai jamais eu de véritables expériences de ce type mais je n’ai jamais fermé la porte, c’est certain !
Vous avez eu très bonne presse sur le précédent album en France – des Inrocks au Monde en passant par Télérama -. Pourtant Yelle reste encore parfois un peu incompris ici, alors que les US vous ont toujours réservé un accueil super chaleureux. Comment expliquer ce décalage ?
C’est une grande question ! Je pense qu’en France on a un peu perdu les gens un moment avec des collaborations hyper pop comme celle qu’on a faite avec Mickael Youn pour Parle à ma main. Nous ne regrettons absolument rien, on est très fier de tout ça, mais on sait qu’une partie du public français a besoin de ranger les gens dans des boîtes bien distinctes. On a quand même sorti un remix estampillé Tektonik chez Kitsuné ! On aime bien ça, faire tomber les barrières, ça nous ennuie les évolutions prévisibles. Les américains ont cette force d’être beaucoup plus spontanés, c’est vraiment “j’aime” ou “j’aime pas”. Ils ne se demandent pas dans quelle case vous rangez et si cette case est ok pour mon profil.
Complètement Fou vs Completely Crazy : un album en anglais un jour pour faire chavirer toute la planète et fondre l’antarctique ?
Non, ça n’est pas prévu car nous sommes attachés à notre identité ! En revanche on vient de bosser sur une application iPhone qui te permettra de lire les paroles en français ET en anglais, pour ceux qui aimeraient les traduire ou les comprendre ! L’appli s’appelle “Yelle Translator” !
Images produites par Dedicate Team, Réalisation James V. Thomas
Interview Philippe Laugier
ARCHIVES DEDICATE 32 – Automne-Hiver 14/15