La “Baltimore club music” propose un mix parfait entre house music et hip-hop, entre la culture club et la street culture. Comme chaque ghetto music, elle possède son identité sonore, sa danse, son look, son langage bref, son propre folklore.
Contrairement à ce qu’indique son nom, la “Baltimore club music” ne résonne pas uniquement dans les clubs le temps du week-end, c’est la véritable bande son du ghetto : les derniers hits et les classiques du genre sont diffusés sur la radio locale 92Q, leurs gimmicks et refrains repris dans les rues du ghetto, les pas de danse et les chorégraphies du moment testées jusque dans les cours de récré. Comment expliquer l’omniprésence de cette ghetto music ? Easy : un fun factor surdéveloppé couplé à l’énergie du désespoir. Le classique “Dance my pain away, I got problems” du dj/producteur Rod Lee illustre parfaitement l’équation de sa popularité. Sur un breakbeat d’une efficacité à faire danser les plus coincés, le morceau raconte l’histoire d’un type criblé de dettes, ayant moult créanciers au cul. En super bonus, il vient de se faire larguer par sa meuf. Ne lui reste que la danse pour oublier ses problèmes. De la même façon que soul et rap à leurs époques respectives, la Baltimore club music chronique tous les aspects de la vie quotidienne des habitants du ghetto, heureux comme malheureux.
Pour réellement comprendre le succès populaire du genre, il faut demander à la grande Google quelques infos sur la ville et son people. À moins d’une heure de Washington, Baltimore a été longtemps sa banlieue tranquille et prospère grâce à son activité portuaire et au business de l’acier. Arrivent les sixties et les émeutes raciales, les seventies et les crises pétrolières. Pour résumer, moins d’emplois, plus de pauvreté, de drogues, et de violence. Les blancs possédants de la middle-class désertent alors la ville pour se réfugier en banlieue. Atteinte du syndrome de la “shrinking city”, B-more qui comptait près d’un million d’habitants en 1950 voit sa population se réduire jusqu’à moins de 650 000 aujourd’hui dont plus de 60 % sont noirs. Baltimore et son surnom officiel “Charm-city”, devient Bodymore “Murder-city”. La charmante ville du crime a les stats les plus flippantes des states, avec le plus haut taux de “black on black crime” (homicides entre afro-américains) et une “criminalité sur les personnes” trois fois plus élevée que la moyenne nationale. – Bodymore/murderland – Bodymore/murderland – Bodymore/murderland – répète en boucle un autre classique de la Baltimore club music. Dans ce ghetto track produit par Aaron Lacrate, les breakbeats caractéristiques du genre sont faits de coups de feu samplés.
La structure de base d’un morceau de Baltimore club music est relativement simple. Fin 80/début 90, une poignée de pionniers inventent une version plus agressive de la house new-yorkaise. Leur quotidien est plus dur, leur son le sera aussi : “Heavy rhythms, heavy drums, designed for you to move and dance to” telle est la recette originale. Frank Ski, Miss Tony, Scottie B, empruntent à la rave anglaise ses breakbeats hardcores ; ils en garderont une palette de sons relativement réduite faisant la spécificité et l’efficacité de cette ghetto music furieusement festive. Les producteurs habillent ensuite leurs breakbeats de toutes sortes de samples : du Please mister postman des Marvelettes au Thriller de Michael Jackson, des gun shoot des gangstas aux sirènes de la police. Tout l’univers sonore populaire américain y passe, même celui de la télé et des génériques de dessins animés. Jonny Blaze est le spécialiste des B-more tracks empruntant à la kid culture. Père d’une famille nombreuse, quand il ne produit pas en samplant le Muppet show ou Spongebob, il joue de la “Baltimore kid music” dans les parties d’anniversaires des marmots du ghetto. Repenti de sa vie de p’tit bandit, Jonny est désormais habité par Dieu. Son amour pour la Club music couplé à celui pour Jésus-Christ lui a fait introduire ses platines jusqu’à l’église. Sa “Baltimore church music” y remplace le traditionnel gospel. Holly shit, le “born again” a remixé le “Dance my pain away” de Rod Lee en un “Praise my pain away” ponctué d’Amen bien énervés. Sur le net, sa musique inspirée du seigneur se retrouve en free download sur soundcloud. Alleluia.
Loin de l’église, à Baltimore, le temple de la Club music et de la danse se nomme “The Paradox”. Dans un mix de B-more club music le dj joue rarement un même morceau plus d’une minute trente, un MC accompagnant le plus souvent ses enchaînements hyper rapides. Ambiance : sur le classique des Doo dew kids “Watch up for the big girl” mixé au récent hit de Murder Mark “Bad Bitches Drop It”, il peut se retrouver à beugler aux filles présentes sur le dance floor : “que celles qui n’ont pas leurs règles mettent les mains en l’air”. Ici, pas de cercle central avec ses spectateurs figés-bras-croisés à regarder, tout le monde danse. Moult petits cercles se forment de façon spontanée et tous les profils de danseurs (in)imaginables s’y défient sur le tempo à 130 “beats per minute”. Du house dancer aux os comme en caoutchouc, capable de faire un back-flip avec réception sur un genou, à la fameuse “big girl” dansant en maxi-talons et mini-short avec big booty qui en déborde ; “too much booty in the pants” en VO. En matière de look comme de danse, pas de place pour les photocopies, l’invention est permanente. De nombreux hits ont leurs pas de danse associés, tel “the Spongebob” en référence au morceau éponyme de Jonny Blaze. Certains comme “the crazy legs” deviendront des classiques. Les combinaisons de ces pas sont infinies, la seule obligation étant de “Rockin’ Off” ou de “Shakin’ Off” ; danser énergiquement en VF. Et il y en a pas que pour le bas, un des tubes underground de Dj Blaqstarr invite le public à danser “hands up, thumbs down”, soit un contre non violent à la façon dont les danseurs miment avec des guns imaginaires “in the air” les coups de feu du morceau Bodymore/murderland. Certains de ces mouvements ont été popularisés par la chanteuse et danseuse Rye Rye, auteur en 2006 du hit internet alors en devenir “shake it to the ground”. À 18 ans à peine, la locale devient la protégée de l’internationale M.I.A. Sur les productions de Blaqstarr et de Diplo, les deux ont su rendre la club music plus pop en privilégiant les paroles chantées plutôt que les samples.
La diffusion de la Baltimore club music en dehors de la ville a commencé en 2005 avec la sortie du cinquième volume d’une série de CD mixés par Rod Lee. Le “Vol. 5 : the Official” fut le premier album du genre à bénéficier d’une distribution nationale, et d’un papier dans The Washington Post titré : “The next dance-floor madness to bubble up from the underground”. À la même période, certains de ses tracks se retrouvent sur la bande originale de The Wire, une série policière diffusée sur HBO dont l’action se déroule à Baltimore. Parallèlement, quelque flying djs (dj grand voyageur) comme Diplo jouent de plus en plus de morceaux de B-more sur les sound-systems des meilleurs clubs de la planète. La blogosphère en pleine expansion s’en empare et les diffuse aux 4 coins du web. Résultat, en 2008, à la fin de la cinquième et dernière saison de The Wire, la B-more club music prend la place de la série comme produit culturel from Baltimore numéro un à l’export. En à peine 3 ans, la Baltimore club music restée 100 % ghetto pendant plus de 15 ans, s’est donc retrouvée dans les playlists des cool kids et des hipsters du monde entier, pour désormais exister jusque dans les clips grand public d’MTV.
WHO’S WHO
Doo Dew Kids, Rod Lee, Aaron LaCrate, Debonair Samir, Frank Ski, Miss Tony, Scottie B, Diamond K, Dj Class, Murder Mark, K-swift, Kw Griff, Rye Rye, James Nasty, Jonny Blaze, Say Wut, Young Leek : vlà quelques noms clés à donner à la grande Google pour récupérer sounds et vidéos de Baltimore club music.
TT the artist vient de terminer un documentaire sur l’histoire de la Baltimore club music : “Dark city beneath the beat”, et Al Shipley un livre : “Tough Breaks : The Story of Baltimore Club Music”.
Texte : Olivier Schmitt (R.I.P.)
Illustration : Guillaume Jolly
Published : Automne-Hiver 2011 – DEDICATE 27